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suite des opérations, la prise foudroyante d’Erzeroum. Nous nous bornerons à dire que nos Alliés poussent au Nord-Ouest vers Trébizonde, et qu’ils ont au Sud-Est gagné Akhlat et Mouch. Ils tiennent l’Euphrate occidental et l’Euphrate oriental, ils touchent au cours supérieur du Tigre ; ils ont en mains, par conséquent, les deux clefs de la Mésopotamie. Erzeroum est le centre de quatre routes : l’une qui conduit, à l’Ouest, sur la Mer-Noire, à Trébizonde même (314 kilomètres) ; à l’Est, jusqu’à la frontière persane (280 kilomètres). C’est par là qu’en temps ordinaire cheminent, à dos de bêtes de somme ou en chariot, bon an mal an, de 12 000 à 16 000 tonnes de marchandises valant de 20 à 25 millions de francs. Une autre mène d’Erzeroum à Bitlis (250 kilomètres) en traversant Mouch, qu’occupe l’armée russe ; une troisième se dirige vers Van, en plein pays arménien (596 kilomètres) ; une quatrième, à l’opposé, vers Erzindjan (176 kilomètres d’Erzeroum). C’est une contrée âpre et glacée, un des hauts lieux où traditionnellement sont les autels de la divinité. Frère Odoric de Pordenone, qui la visita au XIVe siècle, en a légué une description aussi naïve que pittoresque. « De Trapesonde, terre très bien assise, car c’est le port de Persie et de Médie, et de toutes ces terres de Orient là environ, raconte le Bienheureux dans la vieille version française, je m’entournay en Arménie la grant qui a nom Artiron (Erzeroum). Cette cité est moult bonne et riche et seroit encore plus si ne faussent Tartre et Sarrazin qui la ont detruitte (eux non plus n’ont pas changé), car on y trouve encore pain et char et tous autres vivres en très grant habondance fors de vins et de fruit. Caste cité est moult froide car les gens dient qu’elle sciet au plus haut terroir qui soit aujourd’huy habité. En ceste cité a moult bonnes eaues et est la cause car cestes eaues du fleuve de Euffrates qui en est à une journée près de ceste cité à my voye de Trapesonde et la cité de Thoris. — De ceste cité m’en alay jusques à une montaigne qui a nom Sabissa Colloasseis. Près de là est le mont Harach, sur lequel est l’arche Noël... » Tavernier, bien plus tard, en 1679, trace ainsi l’itinéraire d’Erzeroum à Constantinople, beau sujet de méditation pour les Turco-Allemands. « Il n’y a que cinq journées d’Erzeroum à l’ancienne Trébizonde, appellée aujourd’hui Tarabosan, assise sur la Mer Noire ; et, embarquant à Constantinople, on pourrait s’y rendre avec un vent favorable en quatre ou cinq jours. De cette manière on ferait en dix ou douze jours et à peu de frais le chemin de Constantinople à Erzeroum. » Cependant, point d’illusion : « Quelques-uns ont essayé cette route, mais ils ne s’en sont pas bien