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au généralissime fiançais et au souverain belge, il adresse des félicitations et des encouragemens ; au président du Haut Conseil, il soumet le plan d’une activité un peu hardie. Après tout, si le Haut Conseil ne lance pas les armées suisses dans la mêlée européenne, Potterat ne dénigre pas cette prudence ; mais il ne voudrait pas que la prudence de la Suisse eût l’air d’un consentement tacite accordé à la scandaleuse Allemagne : comment la Suisse garde-t-elle le silence ? Potterat supplie le Haut Conseil de protester au moins en faveur de la Belgique. Ce n’est pas tout ce qu’il désire : c’est tout ce qu’il ose demander. Son désespoir se fait modeste. Potterat, qui a été fonctionnaire, ne traite pas sans égards les magistrats de son pays : il les secoue avec déférence. Et puis, il meurt. Pourquoi meurt-il ? C’est que son âme tourmentée a brisé son corps ; et c’est beau. Cependant, M. Benjamin Vallotton, qui le tue ainsi, nous attriste. Il fallait conserver Potterat pour la victoire !... Potterat méritait bien cette récompense. Mais enfin, quand le héros d’un roman meurt et laisse après lui quelque regret, c’est un bon signe. Tant d’autres, en disparaissant, débarrassent l’auteur, et le lecteur aussi.

Admirable Potterat, dont l’émoi donne à rire et à pleurer ! L’invention de Potterat suffirait à-la renommée d’un conteur. M. Benjamin Vallotton, qui confie à ce simple bonhomme le soin d’exprimer les plus poignantes pensées, les sentimens les plus profonds de son pays, au moment où un cas de conscience terrible se pose et s’impose à toutes les nations, le romancier publiciste a bien choisi son interprète. Potterat, c’est la Suisse, la sincérité, la spontanéité de la Suisse : et il dément la neutralité de la Suisse, la véritable neutralité, celle du cœur, l’indifférence. Le reste n’est que de la politique et ne nous regarde pas. Les gouvernemens divers jugent à leur gré l’opportunité d’une intervention : c’est affaire à eux. Mais, entre les races de proie et les peuples qui défendent la liberté du monde, il n’y a plus de neutres : voilà ce que Potterat nous annonce, avec sa bonhomie éloquente et persuasive.


ANDRE BEAUNIER.