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délicieux de vérité, de naturel, de facile et vive désinvolture, très divers, et tous Vaudois, fameusement Vaudois !

La merveille, c’est Potterat : M. Potterat, commissaire de police à Lausanne, un fin limier, fort avisé de philosophie. Et non plus très jeune ; il approche de la soixantaine, quand nous lions connaissance avec lui. L’amitié ne languit pas. M. Potterat nous séduit dès l’abord : il a tant de grâce et d’amabilité ! Sans travail ! et c’est ainsi que nous l’aimons : il ne dit point un mot qui ne soit exactement pareil aux sentimens qu’il éprouve : ses sentimens sont la spontanéité même. Ses occupations étant d’un genre assez particulier, l’on pourrait craindre qu’il ne fût très enfoncé dans sa compétence ; et les spécialistes ont parfois manqué de loisir : M. Potterat, sans négliger son commissariat, ne s’y laisse point absorber. Et il a des clartés de tout ; il a mieux que des clartés : il a, sur toutes choses, les opinions qu’il doit avoir pour être Potterat, ce Potterat si judicieux, si attrayant, si drôle, si bien pourvu de fantaisie et dont la fantaisie même porte, pour ainsi dire, un cachet de nécessité. Le libre arbitre de Potterat n’est point en cause ; mais la liberté de Potterat, je la compare aux caprices de la nature, caprices que des lois gouvernent... « Arbres, je vous aime. Troncs agenouillés dans l’herbe haute, allègres peupliers au bord des routes,... arbres, vous ne dites jamais : C’est derrière la ligne des monts que fleurit le bonheur ! » Ce langage n’est pas celui de Potterat, mais d’un jeune homme hier déraisonnable, et qui se repent, le fils de Frochon le cocher. Parlant à lui-même, il ajoute : « Justin Frochon, tes ancêtres furent plus arbres que les arbres... » Opportune remarque d’un déraciné sur le retour. Lui, Potterat, fidèle à ses racines, c’est un arbre. Et un arbre pousse de tous côtés ses branches, ses rameaux, les enchevêtre et se dessine de telle sorte qu’il ne ressemble pas à un autre : son image ne se poserait pas sur l’image d’un autre. Cependant, il obéit aux volontés de son essence. Et ainsi Potterat. Quel arbre ! Il a pris le suc de la terre ; il s’en est nourri, fortifié. Quasi vieux, il reste jeune.

Mais il est veuf et la solitude lui pèse. En outre, depuis quelque trente ans qu’il veille sur l’ordre public à Lausanne, les journées lui deviennent prévues, leurs incidens médiocres ; puis de nouveaux règlemens ordonnent aux commissaires de se boucler la taille d’un ceinturon : sa taille à lui, gros homme, veut de l’indépendance. Il fait un petit héritage ; un cousin lui a légué, à Bioley-Orjulaz, non loin de Lausanne, un bien modique et agréable. Et Potterat, qui a marié sa fille, traverse de son mieux, et assez mal, une crise de mélancolie.