Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plusieurs jours de vin en fûts prêts à être chargés, ses milliers de fûts vides, et les longues files de wagons-foudres qui s’alignent sur ses quais, semble une succursale de Bercy transportée dans une gare de province.

Do temps en temps, en plus du vin, on distribue aux soldats de l’eau-de-vie ou du rhum. Pendant les froids humides de l’hiver dernier, une tasse de thé additionnée d’un peu d’eau-de-vie était un des meilleurs moyens de réchauffer les hommes ensevelis vivans dans les tranchées boueuses ; beaucoup ont appris là à apprécier la boisson favorite de nos alliés anglais et russes… si bien que la guerre actuelle sera peut-être cause d’un notable accroissement de la consommation du thé en France !

Toute l’année également, pour varier l’ordinaire de nos soldats, les services de l’arrière se sont ingéniés à leur procurer des légumes frais que les corps ne pouvaient plus acheter dans les régions dévastées du Nord et de l’Est. Choux, choux-raves, carottes, navets, oignons, ajoutés au bœuf du pot-au-feu, le transforment et en doublent, sinon la valeur nutritive, tout au moins la sapidité. Certaines stations-magasins, situées dans les contrées grandes productrices de légumes, ont pu envoyer ainsi des 100 000 kilos de légumes chaque semaine, pour le plus grand bonheur des hommes du front ; tous préfèrent singulièrement le pot-au-feu avec légumes aux potages condensés préparés pour l’armée.

Enfin, les stations-magasins possèdent encore une foule d’autres denrées qui peuvent être distribuées à titre gratuit sur ordre du commandement, ou envoyées à titre de substitution pour remplacer d’autres denrées faisant défaut, mais qui ne sont le plus souvent cédées qu’à titre remboursable, c’est-à-dire achetées par les popotes d’officiers ou les ordinaires des corps sur leurs bonis. La liste en est presque illimitée ; ce sont d’abord les fromages variés, ceux surtout à pâte dure, au premier rang le gruyère, dont on a fait une telle consommation que la Suisse a dû prendre des mesures pour en restreindre l’exode. Ces énormes meules empilées, dont certaines dépassent cent dix kilos, occupent dans les halles de la station-magasin des vingtaines de mètres carrés et voisinent avec les fromages français plus petits, cantal et autres ; puis viennent les pâtes alimentaires, le chocolat, les oranges, les fruits secs, figues et pruneaux, les confitures ou marmelades variées, la choucroute.