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les « aptitudes professionnelles » des prisonniers. Le travail, au début, n’était pas obligatoire ; mais ceux qui le refusaient s’exposaient à de telles vexations qu’ils ne tardaient pas à se soumettre, encore qu’il fût contre toutes les lois de la guerre de leur imposer une pareille exigence.

On fit donc passer dans les chambrées des listes où chacun dut inscrire le métier qu’il exerçait et la besogne s’organisa avec cet esprit d’ordre et de méthode qui caractérise les Allemands.

Parmi les Russes se trouvaient un grand nombre de cordonniers et de tailleurs, auxquels nous avions eu précédemment recours pour rapetasser, moyennant quelques sous, nos chaussures et nos guenilles. On les employa à la confection des souliers et des vêtemens militaires. Ils s’acquittaient volontiers de cette tâche qui, toute mal rétribuée qu’elle fût, rapportait aux plus habiles quatre à cinq marks par semaine. De même les selliers se virent astreints à fabriquer des sacs et des harnais pour l’armée ; les forgerons, des ferrures, des écrous et des rivets. Mais alors surgirent des difficultés qui faillirent tourner au conflit. Les sous-officiers français et russes s’entendirent, révoltés à la pensée que le travail de leurs hommes dût profiter à l’ennemi. Par la voie hiérarchique, ils adressèrent courageusement une réclamation à la Kommandantur. La réponse du colonel ne se fit pas attendre : le lendemain, les auteurs de la plainte étaient punis de quinze jours de cellule et, dans chaque atelier, un piquet de landsturm en armes, fusils chargés et baïonnette au canon, surveillait et stimulait les ouvriers.

Notre cher Oberst crut néanmoins devoir en référer à Berlin. La réponse qui lui parvint donne bien la mesure de la cautèle et de l’hypocrisie germaniques. Les prisonniers demeuraient libres de se refuser à travailler directement pour l’armée, mais ils ne jouissaient pas de la même faculté à l’endroit des entreprises privées, comme si la production de celles-ci ne se trouvait pas, depuis la mobilisation, réquisitionnée tout entière pour les fournitures militaires. Deux mois plus tard au surplus, cette tartuferie était elle-même jugée inutile et, sans plus de distinction, le travail obligatoire imposé à tout le monde.

Les Français internés à Bautzen, étant pour la plupart des paysans et des cultivateurs, eurent la bonne fortune de se voir employés comme jardiniers et ouvriers agricoles chez les propriétaires des environs. La Saxe est justement fière de ses