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sentimentales que nous peignaient, hier encore, les maîtres, et qui sont encore sensibles dans l’œuvre de Hans Thoma ? Il n’y en a plus trace... Les gens que Paul Richter nous montrait passant l’Elbe, sur une petite barque, en face d’un vieux château en ruines ; les jeunes amoureux, la main dans la main, le vieillard penché sur sa harpe, le touriste debout, sac au dos, s’adonnant avec ferveur aux joies esthétiques de la contemplation, et le poète échevelé, pensif, qui va noter quelque chose de profond, ou, tout au moins, d’obscur, — que sont-ils devenus ? Un souffle a passé sur les ateliers allemands contemporains, qui en a chassé toute cette humanité naïve, parfois mesquine, mais touchante et, en tout cas, vraie. Il n’est plus resté que des fîgurans de théâtre, laborieusement travestis en symboles, guindés dans leur archaïsme et empêtrés dans leur philosophie.

C’est une fatalité, en effet, que les artistes allemands cherchent toujours à réaliser ce à quoi ils sont le moins propres : le symbole, et sous les formes qui sont le moins dans leur génie : les formes classiques. Certes, leur passion pour l’antique n’est point nouvelle. On chantait, jadis, dans leurs ateliers :


Des Deutschen Künstlers Vaterland,
Ist Griechenland, ist Griechenland !


Mais c’est une passion toujours malheureuse. Elle a perdu Cornélius et son école, elle a donné à Munich et à Berlin leur faux grec. Dès qu’elle saisit son homme, elle le tue. Moritz de Schwind, par exemple, au milieu du XIXe siècle, anime d’une vie très divertissante les figurines sentimentales ou grotesques, qu’il conduit à travers les mystères de la forêt germanique, mais ses figures symboliques sont vides de toute substance. Il réussit toujours le nain : il manque toujours la Walkyrie, à plus forte raison, la déesse antique. Cornélius croit s’inspirer de l’antique : il le surmoule. Tout l’imprévu, toute la netteté, toute la hardiesse et la force, tout l’accent de l’antique est perdu. On ne sent plus ses os.

De nos jours, Trubner croit beau de montrer l’empereur Guillaume Ier en triomphateur, accompagné des Walkyries : il n’évoque autre chose que l’idée d’un vieux monsieur égaré dans les praticables de Bayreuth, au moment où l’on prépare la figuration.

Les nouveaux venus, il est vrai, ont cru sauver leurs pastiches