Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si nous savions les lire, tout le mystère de leur destinée. Les artistes allemands de l’école moderne ont passé devant elles sans y prendre garde. Puis, non loin de ces merveilles, on voit de lourdes caricatures de l’Antique : des allégories où le modèle d’atelier, figé en sa pose, attend patiemment l’heure de se rhabiller, des Naïades jouant dans la mer avec les soubresauts que la foule se divertit à observer au déjeuner des otaries : la négation constante des utiles leçons de Holbein, la prétention aux grands contours synthétiques, aux vastes symboles, à la décoration murale, à la philosophie, exprimée par le dessin le plus commun, le plus banal et le plus lamentablement académique. C’est là que les artistes allemands se sont arrêtés, là qu’ils ont cru trouver l’idée rénovatrice de la peinture allemande ! Franz Stuck, Max Klinger, Trubner, Wilhelm Bader, cent autres sont sortis de là.

A la vérité, Bœcklin avait trouvé quelque chose : c’était d’aller prendre les êtres fantastiques créés par l’art antique et de les remettre dans des paysages vrais, les paysages d’où ils étaient venus, où ils avaient été, pour la première fois, aperçus ou devinés par l’imagination apeurée des bergers : de remettre Pan et les faunes et les satyres dans les bois, les sirènes et les naïades dans l’eau, les nymphes au creux des sources, et de faire galoper les centaures par les prés et les rochers sauvages. Il tirait le centaure de sa métope et l’envoyait, d’un coup de fouet brutal, bondir en plein marécage ; il dévissait le faune de son socle ou de son cippe, et le jetait à la poursuite d’une femme à travers la feuillée des grandes forêts ; il persuadait aux néréides de quitter les trois ou quatre volutes, par quoi sont figurés les « flots grecs, » sur les terres cuites ou les mosaïques antiques, pour piquer une tête dans le golfe et faire une pleine eau. De là, mille apparitions imprévues, bien que logiques, d’un ragoût savoureux, qui faisaient écarquiller les yeux des archéologues et rugir d’aise les rapins : des corps de monstres ou de demi-dieux fouettés par les branches, tigrés par la boue, ruisselans d’embruns, pris dans l’écheveau vert des varechs et roulés par le ressac. C’était une idée. Il en avait une autre, corollaire de la première, et aussi féconde. Etant donnée telle forme fantastique mi-humaine, mi-bestiale : le centaure, par exemple, ou le triton ou la néréide, en déduire toutes les postures qu’elle peut prendre, qu’elle doit prendre en certaines