Mais nous n’osions y tendre de nos mains [1]... » Ainsi gémissait, il y a une quinzaine d’années, un critique allemand, s‘exprimant en français, — ou à peu près, — dans une des Revues d’Art les plus répandues outre-Rhin.
Ce gémissement révèle une blessure assez peu connue de la vanité allemande. Nous savions bien qu’il n’y avait plus d’art très original au pays des Holbein et des Dürer, — exception toujours faite pour la musique, — mais nous n’imaginions pas qu’on dût en souffrir à ce point. D’ailleurs, au moment où ces lignes paraissaient, on pouvait voir à l’œuvre, ensemble, Lenbach, Uhde, Hans Thoma, Liebermann. Menzel et quelques autres, dont les portraits ou les scènes modernisées de l’Evangile, ou les tentatives impressionnistes ou les anecdotes sur la vie du grand Frédéric n’étaient pas si méprisables. Mais la jeunesse les méprisait. C’était un art européen, dérivé des Hollandais, des Flamands et des Français. « Vous êtes couverts des signes du passé, leur disait Nietzsche, et ces signes, vous les avez peinturlurés de nouveaux signes..., le visage et les membres barbouillés de cinquante taches..., ô gens du présent ! Qui est-ce qui pourrait encore vous reconnaître ? Sût-on sonder les reins, qui croire que vous en avez encore, des reins ? Vous êtes pétris de couleurs cuites et d’étiquettes collées les unes contre les autres... » On était dominé par cette idée, — une des plus fausses de la mentalité contemporaine, — qu’un grand peuple, puissant par son négoce ou ses armes, doit nécessairement procréer un grand art. Il y avait disproportion, semblait-il, entre Hambourg et le Palais de Cristal, entre Essen et la galerie Schack. Et les petits racontars de Menzel lui-même, si spirituels et si savoureux qu’ils fussent, donnaient mal l’impression d’un gigantesque effort national. Assez de diners à Sans-Souci, de Frédéric jouant de la flûte, assez de moines égarés dans les caves ou de jeunes ménagères dévorant des lettres d’amour, assez de promenades sentimentales sur le vieux fleuve, en face des ruines romantiques, au son de la harpe, assez de villageois lutines par les kobolds, au fond de la vieille forêt germanique, ou de seigneurs en équipages surannés traversant leurs vieilles villes du Tyrol, — tout ce que Menzel, Grutzner, Defregger, Richter, Schwind, Spitzweg et tant d’autres avaient chuchoté, si
- ↑ Georg Fuchs. Le Vestibule de la Maison de Puissance et, de Beauté. Deutsche Kunst und Dekoration, Darmstadt, 1902.