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quelques-uns d’entre eux étaient-ils, déjà, désignés pour retoucher nos imagiers du XIIIe siècle. Et, sûrement, il en est de chargés de reconstruire Louvain, selon un plan plus moderne et plus rationnel. Que sont donc ces artistes et que valent-ils ? On se pose, malgré soi, cette question.

Je vais tâcher d’y répondre. Cette réponse, — ai-je besoin de le dire ? — ne sera pas dictée par des faits étrangers à la cause. Si, durant quelque vingt-cinq ans, — c’est-à-dire depuis la réunion des Portraits de Lenbach, en 1888, au Palais de Cristal, de Munich, jusqu’à l’Exposition du Pavillon des Arts industriels allemands, à Bruxelles, en 1910, — il n’est guère de manifestation de l’Art allemand que je n’aie suivie et notée, et si, cependant, je n’en ai jamais parlé, ce n’étaient point les horreurs de Louvain ou de Senlis qui arrêtaient l’éloge : c’est qu’il n’y en avait point à faire. Le silence est une opinion, et cette opinion ne devait rien alors aux circonstances. L’expression ne leur devra rien, non plus, sinon l’occasion, ou la justification, de ces lignes.


I

« Depuis un siècle, au moins, les Allemands n’étaient plus maîtres. Ils faisaient figure de petites gens réduites au crédit des voisins, courbées sous une férule de régent. Ils s’avouaient de pauvres lourdauds éternellement stériles qui, incapables de jamais rien produire, devaient toujours se tenir au service, à la discrétion des Anciens, de leurs voisins plus intelligens et à des livres de classe. Ils ébranlaient le monde du tonnerre victorieux de leurs armes ; leur science, leur technique, leur industrie envahissaient l’univers : les plus privilégiés d’entre eux cependant languissaient dans une servitude misérable. Oui, leurs chefs commandaient à des armées monstrueuses, à des forces et à des trésors sans nombre ; et, touchant la vie intellectuelle, affinée, ils érigeaient la soumission aux idoles des temps morts en dogme patriotique. Vit-on jamais grand peuple, en progrès et capable de se créer une civilisation particulière, choir dans une si horrible perversité ? Certes, nous étions assez instruits pour savoir qu’il n’y a, pour l’homme d’honneur, à vivre que s’il domine la vie, que s’il lui imprime le sceau de sa puissance, le sceau de sa déification, c’est-à-dire la Beauté.