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garde des Sceaux, maintenant président du Conseil, il se rappelle, et son éminent collègue M. le ministre des Finances, en tout cas, n’a point oublié, que le précédent Cabinet a déposé un projet de loi destiné à combattre l’alcoolisme, si inoffensif que les marchands de vins de Marseille le proclament du haut de leurs comptoirs, et à circonscrire « ses prétendus ravages, » notamment par la suppression du privilège des bouilleurs de cru. On ne sait plus combien de semaines ont passé depuis qu’une Commission de la Chambre a entrepris l’examen de ce projet ; on ne sait guère mieux combien de semaines passeront, si le gouvernement ne presse, avant qu’il soit en état d’être rapporté ; on sait seulement que, déjà trop faible ou trop indulgent, il sortira des travaux de la Commission énervé dans l’une au moins de ses dispositions essentielles ; et l’on aperçoit l’amorce de toute une campagne : c’est insulter la nation française, malgré l’héroïsme de son armée, que de parler des méfaits de l’alcoolisme ! Nous oserons pourtant en parler, et nous avancerons, sans crainte d’être démentis, que si, au lieu de trois millions de héros, la France en eût compté cinq millions, les Allemands auraient repassé le Rhin, ou plutôt ne l’auraient pas franchi. Quel que soit le projet qui sortira de la Commission, il importe donc relativement peu, pourvu qu’il en sorte. Dès qu’il sera devenu constant qu’il s’y attarde, le gouvernement tiendra à honneur de faire son office en allant le chercher. Ce n’est pas là une œuvre d’« après la guerre, » mais une œuvre de « pendant la guerre. » Ou pendant la guerre ou jamais. Il y a un an, c’eût été plus aisé ; dans un an, ce serait impossible. Les intérêts privés, parmi lesquels il en est de toute qualité, avaient été écartés, dominés par l’intérêt national : peu à peu ils vont se redresser. On connaît la maxime fameuse, que c’est au commencement des règnes que doivent être commises les cruautés. De même, dans la société moderne, c’est au commencement des grandes crises qu’il faut imposer les grands sacrifices.

L’incursion nocturne d’un dirigeable allemand sur Paris avait failli, auparavant, avoir sa répercussion à la tribune. Cette fois, M. le général Galliéni n’avait pas hésité à dire qu’il préférait que la question ne fût pas posée en séance publique, afin de ne pas risquer de fournir à l’ennemi des renseignemens dont il pourrait se servir. La Chambre tout entière lui a donné raison, même ceux qui n’admettent pas plus qu’une difficulté soit résolue parce qu’on s’est tu qu’ils ne se persuadent qu’elle le soit parce qu’on a prononcé un discours.

Mais la plus grosse des questions qui agitent ou qui viennent d’agiter la Chambre est celle que M. Accambray a soulevée, à propos