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inspirateurs invisibles de la presse d’outre-Rhin désirent sérieusement être obéis de « leur peuple, » un simple signal leur suffit pour avoir aussitôt raison des résistances qu’on pourrait supposer les plus invincibles. Pas un chapitre du livre de M. Smith qui ne nous montre au vif l’action toute-puissante de l’un de ces signaux sur la race la plus docile qu’il y ait au monde, — et cela dès le début même de la présente guerre, où déjà s’est produit, à ce point de vue, un revirement d’opinion si subit et profond que jamais, à coup sûr, l’histoire d’aucun pays n’aurait à nous citer rien d’équivalent.

Non pas que, bien avant le début de la guerre, une grosse moitié de la presse allemande se soit fait faute d’exciter déjà les sentimens belliqueux de ses millions de lecteurs ! Mais en face de ces journaux « nationalistes, » qui entremêlaient ouvertement, par exemple, à leur indignation contre la perversité serbe de séduisantes images de territoires à nous enlever et de butin merveilleux à rapporter d’une visite armée par-delà nos frontières, chaque région et chaque grande ville allemande avait un certain nombre de feuilles « socialistes, » ou même seulement « libérales, » qui protestaient avec une énergie passionnée contre les intrigues de la diplomatie austro-prussienne. « Compagnons, — s’écriait dans le Vorwaerts du 25 juillet le comité officiel du parti socialiste, — que si même vous condamnez la conduite des partisans d’une plus grande Serbie, il n’en reste pas moins que l’odieuse provocation du gouvernement austro-hongrois mérite, de votre part, la protestation la plus enflammée. Les demandes faites par ce gouvernement à la Serbie sont si brutales et si dures que jamais, dans toute l’histoire du monde, l’on n’en a présenté de pareilles à un État indépendant, et que sans aucun doute le seul objet de l’Autriche doit avoir été de susciter la guerre. » La Post de Berlin s’étonnait que l’Europe tolérât l’envoi à Belgrade d’un ultimatum aussi monstrueux, qui, en guise de réponse, « exigeait l’entière et décisive humiliation de la Serbie. » Mieux encore, à la même date du 24 juillet, un journal subventionné par la maison Krupp, le Rheinisch-Westfælische Zeitung s’oubliait jusqu’à insérer un article des plus virulens contre l’ultimatum autrichien, — un article où le gouvernement même de Berlin était discrètement mis en cause, et qui se terminait par ces paroles significatives : « Il ne saurait y avoir d’alliance qui nous contraigne à soutenir les guerres déchaînées par la funeste politique de conquête des Habsbourg ! » De toutes parts, à travers l’Empire, des journaux écrivaient et des foules nombreuses clamaient le mot d’ordre nouveau : A bas la guerre ! » à tel point que, par