Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/946

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

solennellement l’entrée des troupes allemandes en France, — voire en Belgique, — par le rappel d’une incursion préalable d’aviateurs français sur des villes allemandes ; et c’est seulement au bout de plusieurs mois que des journaux soucieux « de libérer leur conscience » laissent entendre que ces aviateurs français trop pressés d’entamer les hostilités pourraient bien n’avoir été qu’une « légende, » spontanément issue de l’imagination populaire !


Une autre histoire moins connue, — je crois même qu’elle n’a encore jamais pénétré chez nous, — achèvera de nous prouver la profonde justesse de l’observation mélancolique du préfet de police de Stuttgart, constatant que l’Allemagne entière est soudain devenue « un vaste asile d’aliénés. » Toujours sous l’effet de son même désir de stimuler dans l’âme populaire la haine du Français et celle du Russe, le « chef d’orchestre » invisible qui conduit de sa baguette toute la presse allemande avait imaginé, parmi cent autres moyens, d’annoncer que le gouvernement français projetait d’envoyer à Petrograd de grandes quantités d’or, et d’en confier le transport à de très habiles automobilistes de chez nous, revêtus de l’uniforme d’officiers allemands. Dès le 2 août, par manière d’essai, le Berliner Tageblatt avait publié le « télégramme » suivant :

COBLENCE, ce 2 août. — Le président de la province de Dusseldorf fait savoir que douze automobiles, contenant quatre-vingts officiers français en uniformes prussiens, ont tenté, ce matin, de traverser la frontière prussienne aux environs de Geldern. La tentative a, d’ailleurs, complètement échoué.

« Échec » qui n’avait certes rien de surprenant, si l’on songe que Geldern est sur la frontière hollandaise, et qu’ainsi nos compatriotes, pour entrer en Allemagne par cette voie, auraient eu d’abord à dépister la surveillance des sévères douaniers des Pays-Bas ! Beaucoup plus acceptable était la « version » publiée dans la Gazette de Cologne du 4 août, et qui aussi bien, celle-là, avait été immédiatement reproduite dans toute l’Allemagne :

Plusieurs automobiles français où se trouvent des dames sont en train de traverser l’Allemagne, pour aller transporter de l’or en Russie. La population civile est invitée à faire de son mieux pour les arrêter au passage, après quoi elle devra informer de leur capture le poste militaire le plus voisin.


Le malheur était que, ici encore, le susdit « chef d’orchestre » n’avait pas songé à tout ce qu’avait d’imprudent la propagation d’un