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cependant qui ne sont pas morts tout entiers, car il subsiste d’eux plus qu’un souvenir : une influence. A de certains jours, il sent en lui une volonté qui s’impose à la sienne, un esprit qui n’est pas le sien et qui pourtant ne lui est pas étranger : ce sont ses morts qui parlent en lui. Et il vit trop par le cœur pour ne pas célébrer l’amour ; mais c’est ce fidèle amour, cet amour unique qui emplit une existence tout entière et parfume toute l’âme.

Il y a dans ces premiers recueils bien des défaillances. L’auteur y tombe souvent dans l’abstrait. Quand il versifie l’Idée, le Nombre, la Vérité et la Beauté, voire la Philosophie de l’Inconnaissable, il se souvient trop de ses cahiers de philosophie. L’expression surtout est faible. Ch. de Pomairols était trop avisé pour ne pas s’apercevoir de ces défauts et trop vraiment artiste pour ne pas travailler à s’en corriger. L’habitude de l’analyse l’avait mal préparé à la langue poétique. Il ignorait le métier, ayant fait son apprentissage à la campagne, sans guide et sans conseil. Il en convenait volontiers. « J’eus le tort, disait-il, de publier deux volumes de vers dont la forme est trop souvent prosaïque et défectueuse. » Il vint à Paris pour se mettre à l’école. Il fréquenta les Parnassiens dont on sait qu’ils furent d’admirables ouvriers d’art, amoureux de leur métier et qui se plaisaient à l’enseigner. Quand il publia la Nature et l’âme et Regards intimes, il était en pleine possession de son talent. Ne croyons pas d’ailleurs qu’il s’agisse uniquement ici d’un progrès dans la manière de faire les vers. Ce travail de la forme, dont on s’imagine parfois qu’il est tout extérieur, eut pour résultat de lui faire prendre nettement conscience de sa pensée profonde et de son sentiment intime. Peut-être aussi, en s’éloignant de sa terre natale, avait-il senti, presque douloureusement, par quelles fortes et subtiles racines il y tenait. C’est dans ces deux volumes qu’il a donné sa note la plus originale et vraiment personnelle, une note « terrienne » dont il a enrichi notre poésie. Cependant, une cruelle épreuve allait fondre sur lui, la mort d’une fille tendrement aimée. Le père souffrit, le poète chanta. Ce furent ses vers les plus touchans. Et ce furent les derniers. Cette suprême floraison poétique, il l’apporta en hommage funèbre à l’enfant disparue.

Toutefois, Ch. de Pomairols devait, après un assez long espace de temps, revenir à la littérature. A l’âge où l’on écrit ses