Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/929

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais toutes ces raisons ne suffiraient pas à expliquer l’espèce d’isolement où le nom de Ch. de Pomairols était confiné, loin de l’applaudissement du vulgaire. Il en est une autre, plus profonde, tirée de la nature même de son œuvre, et qu’a excellemment indiquée M. Maurice Barrès dans une notice placée en tête des Poèmes choisis[1]. « Dans le monde spiritualisé où nous entraîne M. de Pomairols, écrit-il, on éprouve une sorte de joie délicate, dépouillée, choisie. Délivré de la pesanteur brutale, on se trouve dans un milieu plus affiné que baigne une transparence légère. Oublier le corps, associé fortuit, souvent hostile, avoir présent le principe essentiel de sa personne, sentir uniquement son âme, l’âme qui pense et qui aime, c’est un état aérien, sublime, qui donnerait une félicité d’espèce supérieure. C’est l’état que goûtait pleinement Joubert, le délicat, le raffiné, à peine mêlé à la vie ! Mais précisément ce nom m’éclaire sur le spiritualisme de M. de Pomairols. Nous entrons au royaume des anges de la littérature. Et c’est bien la raison de la solitude où son œuvre demeure en dépit d’illustres suffrages. Un jeune homme qui vit à Paris, dans le monde du plaisir et du travail, peut comprendre comme une chose vivante les poèmes de Leconte de Lisle et de Baudelaire : ils expriment des conceptions sur lesquelles ses livres l’ont fait réfléchir, des sentimens qu’il a éprouvés et des drames qu’il vit se jouer tout autour de lui. Mais il n’a pas de vrais rapports, sauf peut-être quelques souvenirs d’enfance, avec les poèmes de Pomairols… Mieux que personne, ce poète a chanté une tradition qui nous vient du fond des âges celtiques, une tradition qui fait notre gloire, l’attrait infini pour tout ce qui est pur, vierge, enfantin, intact dans la nature. Il restera le poète de la pureté. » Telle est bien l’atmosphère de cette poésie et celle où baignait cette âme. Quand on avait le très noble plaisir de s’entretenir avec Ch. de Pomairols, on était émerveillé de voir comme, en dépit de l’âge et des épreuves, il avait gardé toute la jeunesse et toute la fraîcheur de ses sentimens. Rien n’avait pu l’atteindre de ce qui est la laideur humaine et la dureté de la vie. De sa

  1. Ch. de Pomairols. Poésie : La vie meilleure (1879). — Rêves et pensées (1881). — La Nature et l’âme (1887). — Regards intimes (1895), chez Lemerre. — Pour l’enfant (1904). — Roman : Ascension. — Le Repentir, chez Plon. — Critique : Lamartine, chez Hachette. — Poèmes choisis, préface de Maurice Barrès. Éditions du Temps présent.