ainsi, de ces infortunés, tenaillés par la souffrance et nous implorant avec désespoir, ou bien, au contraire, exsangues, le corps vidé d’hémorragies, glissant à la mort dans l’apaisement heureux d’une longue syncope !
Et les journées se suivent, tragiques et monotones. Au réveil, ce sont les corvées de propreté, la toilette des couloirs et des salles, lavés à grands seaux d’eau, nettoyés d’immondes détritus. Les médecins viennent passer leur visite, faire enlever les morts de la nuit. Ils sont nombreux, les morts ! — Nous parlons par équipes, chargés de nos civières, qu’on n’a plus le temps de lessiver, nauséabondes, poissées de sang et de pus. Trop souvent, un abominable spectacle nous attend. Dans le paroxysme du mal, les agonisans se sont jetés hors de leur lit ; ils sont morts, convulsés sur le plancher, sur des chaises, où nous trouvons leurs cadavres raidis, en des poses à la fois terrifiantes et grotesques. Les premiers temps, je fermais les yeux pour ne pas voir ; puis l’accoutumance est venue, les nerfs s’émoussent à la longue ; d’ailleurs, nous sommes abrutis de fatigue, besognant durement dix-neuf heures par jour, dormant quand nous pouvons, au petit bonheur, parmi les soupirs et les raies.
19 août. — Cette nuit, nous avons eu une sérieuse alerte. Je dormais et suis réveillé par des bruits de voix, des piétinemens, des appels. Un grave incident vient de se produire. Le ciel est sombre, chargé de nuages ; soudain, dans l’obscurité, les veilleurs ont aperçu de longues flammes bleuâtres courir le long du paratonnerre, entendu crépiter des étincelles. Surpris d’abord, ils ont jeté l’alarme, et les recherches ont immédiatement commencé. On escalade le toit, on visite le grenier et les combles. Toute une installation clandestine de télégraphe Marconi se révèle bientôt : l’antenne, invisible d’en bas, est adroitement fixée sur le paratonnerre ; des fils, dissimulés le long d’une gouttière, et qui s’enfoncent dans le sol, la relient souterrainement au poste-récepteur, qu’il s’agit à présent de découvrir. Nous avertissons aussitôt l’état-major à Saales ; on nous répond qu’on va faire fouiller les fermes d’alentour.
Le surlendemain, nous apprenions qu’on avait mis la main sur l’espion, un jardinier, Allemand immigré, sur-le-champ passé par les armes.