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hommes de finance et de négoce, des entrepositaires, des courtiers qui se voyaient en passe de s’enrichir en quelques mois, c’était se payer d’étranges illusions. Et compter que, par de laborieuses tractations avec les gouvernemens, — intéressés eux-mêmes dans ces opérations, ne fût-ce que par l’augmentation des revenus des douanes, — ou par l’établissement de « trusts » avec de grands commerçans plus ou moins sincères, en tout cas dépourvus d’autorité et de moyens de coercition[1], on arriverait à endiguer le flot des importations suspectes dans les ports neutres et à barrer tous les chemins de frontière aux contrebandiers, c’était vraiment encore se leurrer de gaieté de cœur. C’était aussi mal connaître les ressources, la fertilité d’expédiens, la longue préparation à la guerre économique de nos méthodiques ennemis. C’était enfin ignorer de parti pris le prestige dont ils jouissaient, la crainte qu’ils inspiraient à ces peuples faibles, peut-être même certaines conventions, dont le secret avait pourtant transpiré.

La signification et la valeur des statistiques dont je parlais tout à l’heure viennent d’être contestées devant le Parlement anglais par le chef du « Foreign Office, » l’organisme gouvernemental auquel l’opinion, de l’autre côté de la Manche, reprochait le plus vivement son inertie et sa crédulité. Il se peut, en effet, qu’il y ait lieu d’en rabattre, quand on nous dit que les neutres du Nord importent sept ou huit fois plus qu’il ne leur est nécessaire pour leurs besoins très largement calculés et, donc, que l’excédent va tout droit à l’Allemagne. J’ai, pour ma part, reçu une lettre d’un Hollandais de marque qui observe, entre autres choses, que son pays doit en ce moment faire face à l’alimentation et à l’entretien de plusieurs centaines de mille de Belges. C’est un peu insuffisant comme explication, et les Belges n’ont sans doute besoin ni de tant de cuivre, ni de tant de caoutchouc, transportés subrepticement en colis postaux. Au reste, tout en s’élevant contre des exagérations que reconnaissaient volontiers les observateurs de sens rassis, le

  1. … Importations portées au décuple du chiffre normal ; interdictions d’exporter aussitôt neutralisées par des permis spéciaux appelés « Consenten ; » importations sous le régime du « trust, » mais dont, après la première main, la destination finale était incontrôlable, rien n’y fit. On laissa faire. « Ne touchez pas aux neutres !…, » etc., etc. Ainsi s’exprime, dans une lettre qui a paru le 26 janvier, dans la Liberté, M. J. Hédeman, correspondant de la presse française en Hollande.