Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/834

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maître de Sainte-Barbe, car la maladie dont il souffrait était la même, le pria de lui gratter le dos. Devant ses plaies purulentes, l’horreur de ce mal, qui, jadis, l’avait détourné des mauvais lieux, le ressaisit. Mais il eut encore plus peur de céder aux lâchetés de la nature. Il ramassa du pus sur son doigt et l’avala. Ainsi son ardeur d’apôtre triomphait d’une appréhension, que l’instinct de la jeunesse, qui passe pour le plus irrésistible, n’avait pu vaincre en lui, alors que l’incertitude devait la rendre moins vive et l’attrait du plaisir plus légère. Nous avons connu des gens si follement enivrés de leur santé que, par une sorte de bravade, et pour impressionner leur entourage, ils commettaient des actes moins offensans, mais du même ordre. Leur courage n’était que vanité, et leur vanité n’inspirait que du dégoût. Ici, l’homme veut simplement dompter sa chair et, une fois pour toutes, l’immuniser contre les répulsions qui l’attendent. Il ne défie ni la vie ni la mort : il défie ses faiblesses naturelles les plus tenaces, fermement résolu à ne plus avoir à s’en défier. La nuit suivante, François rêva qu’il ne parvenait pas à se débarrasser des âcretés de sa gorge. Cependant il en fut quitte pour un cauchemar. « Et s’ils boivent quelque chose de mortel, avait dit le Christ à ses apôtres, ils n’en ressentiront aucun mal. » Mais comme il dut regretter, plus d’une fois, que les lèpres du corps ne fussent pas plus dures à affronter que les lèpres de l’esprit ! Il est plus facile aux saints de s’endurcir aux premières qu’aux autres. A travers les ulcères qui dévorent les membres, ils voient l’âme se purifier ; et le parfum qui en émane leur bouche le nez aux miasmes de la chair. Mais ni la beauté des formes, ni la fraîcheur des carnations, ni le beau sang généreux qui circule dans les veines, ni les parures, ne leur ferment les yeux aux abcès inaccessibles de l’âme ; et ils n’en prennent jamais leur parti. Voyages, controverses, mendicité, prêches publics, soins des hôpitaux, ainsi François s’instruisait, sans le savoir, à l’apostolat des Indes.

Après un séjour d’environ trois mois à Venise, les Iniguistes s’acheminèrent vers Rome, sans Ignace qui craignait que la calomnie ne l’y eût précédé. Ils désiraient solliciter du Pape l’autorisation de se rendre en Terre Sainte ; et ceux d’entre eux qui n’étaient pas encore prêtres, de recevoir les ordres sacrés. Sur la recommandation du délégué de Charles-Quint, Pierre Ortiz, Paul III, qui aimait pendant ses repas les belles