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Constance et, après cinquante jours de voyage, le 8 janvier, ils arrivèrent à Venise. Ils allaient à pied, vêtus d’un habit long, coiffés d’un chapeau à larges bords, le bourdon à la main, le rosaire autour du cou, un sac sur l’épaule. Nos paysans devinaient aux manières de ces hommes pieux et simples des personnages d’importance, et, du seuil de leurs chaumières ou par-dessus les haies, ils les suivaient du regard en hochant la tête et disaient : « I vont à réformer quaque pays. » Le matin, ils célébraient la messe et communiaient. Sur la route, ils s’entretenaient des objets de leurs méditations, et chantaient des psaumes. Le soir, quand ils entraient fourbus à l’auberge, ils se mettaient en oraison. Chaque jour leur apportait une nouvelle raison de remercier Dieu. Près de Nancy, ils furent arrêtés par des soldats français qui ne reconnurent point les Espagnols, et les laissèrent continuer leur pèlerinage. Leur esprit était sans cesse tourné vers le surnaturel. Un guide, qui leur parut mystérieux, les conduisit, dans le crépuscule du matin, par des chemins étranges, hors d’une ville où on les avait menacés. Ils marchaient, l’âme heureuse, sous la pluie, sous la neige, sous la bise des montagnes. Quand, au Carême suivant, ils s’éloignèrent de Venise et descendirent vers Rome, toujours à pied, les pluies avaient fait déborder les rivières, et ils cheminèrent souvent et longuement avec de l’eau jusqu’à la ceinture. A côté des auberges et des granges où ils couchaient, trempés jusqu’aux os, tout le confortable de la vie leur souriait naguère dans leur pauvre chambre d’écolier. Mais il fallait que François s’entraînât ainsi, afin que ses pieds pussent le porter jusqu’au bout du monde.

En même temps, il faisait ses débuts dans l’apostolat. Les Iniguistes n’avaient pas quitté la France qu’ils rencontraient les hérétiques. Les églises, d’où l’on avait déménagé les objets du culte, n’étaient plus que des maisons de prières froides et nues. Une vieille femme, ayant connu à leurs rosaires qu’ils étaient catholiques, vint un jour leur apporter des débris de croix et de statues qu’elle conservait précieusement : ils s’agenouillèrent sur la neige et se prosternèrent devant ces reliques profanées. Ils arrivèrent dans des villages en fête qui pavoisaient pour le mariage de leur curé comme les nôtres pour le couronnement de leur rosière. Le nouveau marié rentrait dans la vie laïque au son des trompettes et l’épée au côté. A Bâle et près