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nous prouve que François ait été, à l’Université de Paris, un sujet très remarquable. Ses lettres, que nous examinerons plus tard, témoignent d’autres qualités que de qualités littéraires ou philosophiques. Ce serait une erreur de croire que les circonstances où il les écrivait l’empêchaient de donner sa mesure, car la finesse et la fermeté de l’observation qui s’y marquent parfois exigent autant de liberté d’esprit que les plus beaux dons de l’écrivain. Précisément, il leur manque, à ces lettres, pour égaler celles des sainte Thérèse, des Catherine de Sienne, des Loyola, ce sens inné de l’art qui résiste aux plus dures préoccupations et qui se manifeste jusque dans les périls de la mort, sans que l’homme en ait plus conscience que, dans ses prières à Dieu, du charme de sa voix. D’ailleurs, Ignace jugeait les hommes non sur leurs succès académiques, mais d’après les services qu’ils pouvaient rendre à sa cause. En François de Xavier, il devina le héros à naître. Dans cette âme cuirassée d’orgueil et d’ambition, il entendit avant tous les autres, sourdre une merveilleuse convoitise des biens spirituels. Si aucune âme ne lui coûta plus de peine, aucune peut-être ne lui fut plus intimement chère. Il y avait entre eux des affinités de noblesse et de race plus fortes que tous les désaccords, mettez aussi d’humeur aventureuse. Le premier rêve de conversion des infidèles qu’Ignace avait ébauché, ce sera François qui l’accomplira. Mais il fallait venir à bout d’un esprit récalcitrant, et surtout d’une imagination enflée de l’honneur du monde.

Si Descartes avait fait du prosélytisme, on se représente aisément, par son Discours de la Méthode, comment il eût procédé. De même, qui a lu les Exercices Spirituels, ce Discours sur la Méthode du Mysticisme, peut se rendre compte des moyens d’action dont se servait Loyola. Ce petit livre, un des grands livres de la Renaissance, répondait aux mêmes besoins qui inspiraient à Mathurin Cordier, dans sa classe de sixième, son nouvel enseignement de la grammaire ; à Buchanan, sa nouvelle explication des poètes latins ; aux Réformateurs, leur nouvelle interprétation des textes sacrés. Du haut en bas, l’heure est venue pour l’esprit, selon son rythme éternel, de se dégager des innombrables gloses dont il a recouvert les objets de son culte et de ses études et de se ressaisir dans sa simplicité ou sa complexité originelle. Devant Dieu ou devant Virgile,