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dissimulation : mais plus pure encore était, à tous ces points de vue, la conscience du collègue survivant qui lui disait adieu !

Or, il se trouvait que, dès ce jour, le général Botha et le général Smuts connaissaient aussi parfaitement que tous leurs compatriotes s’accordent à le connaître aujourd’hui, l’objet véritable du voyage qui avait coûté la vie au général Delarey. Le fait est qu’il n’y avait pas de moyen dont Beyers n’eût tâté, depuis son retour d’Allemagne, pour essayer de « convertir » son vieil et vénérable ami Delarey à la cause d’une rébellion dont il était, lui-même, l’actif instigateur. N’était-il pas allé jusqu’à vouloir tirer parti du « piétisme, » volontiers trop crédule, du vieillard pour le convaincre des sympathies du ciel en faveur de l’Allemagne ? Et comme, cependant, aucun de ses efforts ne parvenait à vaincre les scrupules du héros boer, Beyers avait enfin résolu d’emmener celui-ci quasiment de force, — ou du moins sans l’avoir mis au courant des réalités de la situation, — dans une ville voisine de la frontière allemande, où un nombreux contingent de troupes n’attendait que son arrivée pour arborer décidément le drapeau de la guerre civile ! Déjà toutes les mesures préparatoires avaient été prises : non contens de soutenir les rebelles de leurs conseils et de leur argent, les Allemands s’engageaient à leur envoyer une armée de renfort. Et de là, sans doute, l’obstination de leur complice Beyers à ne pas vouloir arrêter, devant les sommations des gendarmes, l’automobile où il emmenait l’infortuné Delarey : car d’abord il risquait d’inspirer lui-même des soupçons aux autorités, ayant annoncé son départ vers une direction toute contraire de celle qu’il suivait ; et peut-être, aussi, craignait-il que son compagnon ne profitât de l’occasion du premier arrêt pour se refuser à faire un pas de plus vers cette ville-frontière où il l’entraînait, et où les instincts d’honnête homme du vieux Delarey commençaient à soupçonner quelque chose de « louche ? »

Toujours est-il que, sans le funeste hasard de cette mort de son compagnon de route, le général Beyers allait, dès le matin suivant, se mettre ouvertement à la tête d’une armée de rebelles ; et l’on peut juger par-là du degré d’audace qu’il lui a fallu pour protester, ainsi qu’il l’a fait, de l’entière droiture de ses intentions, en présence d’auditeurs dont plusieurs, tout au moins, devaient être sûrement informés des moindres détails de son rôle. Mais quelques mois de séjour en Allemagne, comme je l’ai dit, avaient suffi pour substituer à l’ancienne franchise naturelle de ce fils de paysans hollandais un mélange à peine croyable d’effronterie et de mauvaise foi, L’auteur d’une