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service qu’ils lui avaient rendu en l’aidant à obtenir la soumission des grévistes ! Nul moyen, après cela, pour le Gouvernement, de révoquer une donation aussi solennelle, proclamée en son nom par le commandant des troupes nationales ; et voilà de quelle façon le général Beyers, dès ce début de l’année 1914, aura pu annoncer à ses confidens et inspirateurs berlinois l’acquisition, à la fois toute gratuite et toute « légale, » de 60 000 excellens fusils neufs pour les hommes qu’il comptait bientôt soulever contre le « joug anglais ! »

Encore n’était-ce là qu’une entrée de jeu. Pas un instant, depuis lors, l’ancien compagnon de luttes des simples et probes héros de la résistance sud-africaine n’allait cesser d’étonner péniblement ses amis de jadis par l’emploi d’une duplicité où je doute que ses maîtres allemands eux-mêmes l’aient jamais dépassé. Écoutons-le par exemple, le samedi 29 août 1914, encourager publiquement au « loyalisme » le plus zélé des troupes que, depuis longtemps déjà, en secret, il ne se lassait pas d’exciter à la rébellion contre l’Angleterre :


Soldats et chers compatriotes, — leur disait-il, — voici qu’à défaut des régimens anglais, rappelés en Europe, c’est à vous que revient l’honneur d’avoir à chasser de notre sol l’envahisseur allemand ! Je suis certain d’avance que vous allez faire de votre mieux ! Et je tiens seulement à vous répéter une fois de plus, comme je l’ai fait bien souvent déjà aux quatre points du pays, que, dès l’instant où celui-ci se trouve menacé, Boers et Anglais doivent s’unir étroitement et combattre ensemble jusqu’au dernier homme !… Allons, amis, découvrons-nous, et poussons trois hourras pour Sa Majesté le roi George !


Mais aucun des innombrables traits de fourberie « teutonne » qui remplissent le récit des derniers mois de la vie du général Beyers, — noyé, par accident, le 8 décembre 1914, — n’égale l’aplomb vraiment prodigieux avec lequel cet élève improvisé des Bismarck et des Bernhardi, prenant la parole après ses collègues Botha et De Wet à l’enterrement du général Delarey, a protesté contre l’accusation « abominable » d’avoir voulu enrôler son défunt ami dans un complot antianglais. Parmi force sanglots et sous la garantie des sermens les plus sacrés, Beyers a exposé à ses auditeurs l’objet, éminemment innocent, du voyage qu’il faisait avec Delarey, le soir où celui-ci avait été tué d’un coup de fusil par un gendarme trop scrupuleux qui, devant leur refus d’arrêter leur automobile, avait pris les deux généraux pour des malfaiteurs échappés de prison. Certes, s’écriait-il, tout le monde au Transvaal savait le « loyalisme » du glorieux Delarey, son amitié privée pour Botha, son horreur naturelle de la moindre trace de