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l’avertissent de transporter son imagination dans une autre époque et un autre milieu, bon avertissement !

L’éditeur d’André Chénier n’avait pas qu’à transcrire les manuscrits : ce n’était là que le plus facile de sa tâche. Il avait à classer les fragmens de poèmes et à classer les poèmes. Or, les manuscrits, tels que la Bibliothèque nationale les possède, sont en parfait désordre. L’on ne peut dire assurément que l’auteur les ait jamais rangés. Mais il est certain que Daunou, l’exécuteur testamentaire de Marie-Joseph Chénier, les a dérangés, ne fût-ce que pour en extraire les feuillets qu’il confiait à ce Latouche. Puis Gabriel de Chénier les mania sans timidité. Comment faire ? Si l’on peut essayer un classement, c’est qu’André Chénier, le plus souvent, note d’un signe, — d’une lettre ou d’un mot, d’un mot français, ou grec, et anglais parfois, d’une syllabe, — les fragmens qui, dans sa pensée, se rapportaient à un poème ou bien à un ensemble de poèmes. De cette façon, nous reconstituons à peu près et les Bucoliques, et les Elégies, et l’Hermès. Il arrive aussi que, faute d’un signe évident, nous restions fort embarrassés. Tel fragment que M. Dimoff attribue au troisième chant de l’Hermès, M. Abel Lefranc le réclame pour l’Apologie : et peut-être Chénier n’avait-il pas décidé de l’introduire ici plutôt que là. Je citerais plus d’un exemple d’une pareille incertitude. En somme, un classement tout à fait rigoureux n’est guère possible et, si je ne me trompe, l’est d’autant moins que nous avons affaire, la plupart du temps, à des bribes d’ouvrages que l’auteur n’avait point achevés. Ce n’était pas une raison pour que M. Dimoff ne tentât point de mettre de l’ordre dans ce désordre ; c’était une raison pour qu’il n’attribuât pas une extrême importance à la difficile besogne du classement.

Tel est son classement, — très attentif et qu’il saurait défendre, — que les plus beaux poèmes, et par le poète menés à leur achèvement, s’y perdent au milieu de brouillons qui ne sont pas tous intelligibles. Les Bucoliques de M. Dimoff commencent par une série d’Invocations poétiques : invocations diverses, puis à l’adresse des dieux et, notamment, d’Apollon. Premier fragment : « Apollon est ap… » Et c’est tout le premier fragment. Nous sommes déçus. De tels petits bouts de phrases encombrent les pages du livre, les pages où nous cherchons, où nous voulons trouver aisément les divins poèmes. Certes, M. Dimoff n’a pas tort de ne négliger aucune ligne de Chénier ; mais que n’a-t-il relégué dans les notes, ou dans un appendice, toutes ces rognures ? Les philologues auraient été satisfaits ; et contens, les