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en temps une part de son trésor à qui du moins n’était pas Becq de Fouquières. Voulait-il se réserver les honneurs de la publication ? Principalement, il taquinait de son mieux, et très bien, Becq de Fouquières. Celui-ci enrageait ; celui-ci ne renonçait pas au service et au culte d’André. Il multipliait les recherches et de belles trouvailles le récompensaient : le récompensaient mal, car il savait que cependant le principal était dans les tiroirs du cerbère implacable Gabriel. Afin de rétablir en vérité le texte du poète, il procédait par conjecture, comme font les philologues pour les écrits des anciens, dont les originaux sont perdus ; mais il savait que Gabriel tenait la certitude. Il y a vingt-cinq ans, on découvrit en Égypte, sur des papyrus, un long passage du Phédon : ce manuscrit, fort ancien, contemporain de Platon peut-être, indemne ainsi des altérations qui, d’une copie à l’autre, détériorent la pensée de l’auteur, devait fournir la leçon première, ou peu s’en faut. Les hellénistes qui travaillaient sur le Phédon résolurent d’attendre, inquiets et affriolés. Le dépouillement et la publication du papyrus prirent quelques mois : et l’on sut alors que la plupart des conjectures hasardées par les savans ne valaient rien. D’habitude, la philologie grecque épargne à ses dévots de telles tribulations et surprises : ils accomplissent leur besogne en repos. Mais, lui, Becq de Fouquières endurait un supplice. Attendre ? Les années n’adoucissaient pas M. de Chénier ; l’âge ne le rendait ni plus obligeant ni moins robuste. Et attendre, quand on aime !… Becq de Fouquières était amoureux de cette poésie qu’un Bartholo détestable lui cachait. Il aima de loin, de cœur épris et constant. Il publia en 1862 sa première édition d’André ; dix ans plus tard, une seconde édition, plus parfaite encore. Il avait réussi à se procurer, dans les bibliothèques et les archives, tous les renseignemens et les témoignages relatifs à la vie et à la mort du poète ; il avait si bien cherché qu’ensuite on n’a pas trouvé grand’chose. Il lui a manqué seulement les papiers que la malignité de l’inexorable vieillard lui refusait. Sur bien des points, il a deviné juste, avec une sorte de patient génie.

Or, il venait de publier sa seconde édition : soudain, M. Gabriel de Chénier publia trois volumes des poésies d’André Chénier. Trois volumes ! De l’inédit, des merveilles imprévues ! Ce qu’éprouva Becq de Fouquières, nous le savons, il ne l’a point dissimulé : ce fut de la joie et de la colère. De la joie, certes, pour tant de beautés nouvelles qui lui ornaient encore son héros, son ami. De la colère aussi : M. Gabriel de Chénier, sans être à la rigueur un sot, n’était pas un admirable lettré ou n’était pas un philologue. Son édition, riche à