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En 1819 parut le premier volume d’œuvres d’André Chénier, par les soins délicats d’Hyacinthe de Latouche. Et ce Latouche eut ici-bas une drôle de destinée, s’il fut l’auteur de romans, de poèmes, d’essais, de comédies, de toute une œuvre intelligente et abondante et s’il n’est demeuré célèbre que comme l’éditeur d’un autre et l’amant de Marceline Desbordes-Valmore : en outre, on ne peut affirmer certainement qu’il soit « le jeune homme de Marceline. » Son édition de Chénier n’est pas mauvaise. On lui reproche quelques erreurs de lecture. Par exemple, ce joli vers : Pâtres, chiens et moutons, toute la bergerie, il le gâte, quand il imprime : Pauvres chiens… C’est dommage !… Il a quelquefois corrigé des négligences de Chénier : il eût mieux fait de se tenir tranquille. Et il a trop souvent abrégé des morceaux que nous sommes contens aujourd’hui d’avoir tout entiers. Cependant, il avait à choisir ce qu’il publierait ; il ne pouvait, à cette époque où le défunt poète n’était pas illustre, publier jusqu’aux plus petits fragmens : il eût desservi le poète dont il préparait la gloire. Au bout du compte, il a bien choisi et il a composé son recueil avec un goût très sûr, avec une heureuse prudence.

Peu à peu, et grâce à lui, Chénier devint un de nos poètes classiques. Les conditions n’étaient plus les mêmes, lorsque le diligent Becq de Fouquières commença ses travaux. Subtils travaux, qui durèrent un quart de siècle et qui occupèrent sans cesse l’attention, la sagacité, l’amitié de l’érudit le plus fervent. Becq de Fouquières fut dévoué, consacré à sa tâche pieuse. Il aimait Chénier, — André, comme il l’appelle gentiment, — d’une tendresse que Marie-Joseph n’a pas eue pour son frère. Je ne dis pas que Marie-Joseph soit coupable de la mort de son frère. On a lancé cette accusation brutale contre lui de bonne heure ; et la politique s’en mêla. Sans doute n’a-t-il pu sauver son frère : Becq de Fouquières l’eût sauvé. Rœderer, en 1796, jugeait ainsi Marie-Joseph : « Il n’a point fait de crimes, mais il a professé tous les mauvais principes qui les ont fait commettre tous. Il n’a point été l’émule de Marat, mais il a été son apologiste. Il n’a point été l’assassin de son frère, mais il a été l’ami de ses assassins… » Becq de Fouquières n’était pas l’ami des ennemis d’André. Même, il a traité avec une extrême rudesse le neveu d’André, M. Gabriel de Chénier qui, à son gré, contrariait la renommée du poète. Il l’a poursuivi de sa colère et il l’a secoué. Ce Gabriel de Chénier, c’était un homme têtu. Il possédait les papiers de son oncle ; et il se promit de ne les montrer à personne, de les cacher surtout à Becq de Fouquières ; et, pour faire endêver Becq de Fouquières davantage, il révélait de temps