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saint Archange dont ils contemplent de leurs plus supplians regards la statue infiniment vénérée. En mai, plus de cent mille de ces pèlerins montent au sanctuaire. La fête de l’Archange se célèbre le 8 de ce mois. Nous sommes au 9. C’est dire que nous rencontrerons encore de très nombreuses bandes.

La route qui de Foggia mène à Manfredonia, d’où l’on monte au Gargano, est une des plus romantiques du monde. Elle traverse dans sa partie la plus pittoresque le sauvage Tavogliere, parsemé de troupeaux. En face de nous grandit de moment en moment l’immense silhouette isolée du Monte Sant’ Angelo. A mi-chemin, les ruines d’une ancienne commanderie du Temple et de son église, très renommées à l’époque des Croisades, attirent nos regards. La route est couverte de centaines de pèlerins, se dirigeant par bandes vers le sanctuaire ou en revenant, chantant et priant. Les voix fraîches des jeunes filles répondent aux voix graves des vieillards portant les saintes reliques. Plus loin nous visitons une église vénérable, très antique, de la plus belle ordonnance du haut Moyen Age. C’est la cathédrale de Siponto, le seul monument demeuré debout dans cette solitude d’une ville jadis célèbre. Manfredonia, que nous atteignons aussitôt après, est un petit port de mer pittoresque et charmant. Ce fut jadis un point d’embarquement très fréquenté par les guerriers de la Croisade. L’infortuné Manfred, ce fils bâtard si sympathique du grand Frédéric II, imposa son nom à la ville qu’il reconstruisit. Vers les tout derniers jours du XVIIIe siècle, Mesdames Adélaïde et Victoire de France, tantes du Roi, abandonnant le palais de Caserte sous la menace des soldats de Championnet, vinrent ici s’embarquer sur une misérable felouque qui, à travers des souffrances inouïes, les conduisit à Trieste, étape dernière de leur long martyre.

L’ascension du Monte Sant’ Angelo commence presque à la porte même de Manfredonia. Vingt kilomètres environ nous séparent encore du sanctuaire. La route, très découverte, très abrupte, domine sans cesse en corniche les plus beaux points de vue sur la mer et le fuyant rivage des Pouilles. Nous ne cessons de rencontrer des théories de pèlerins. Soudain, de cet immense désert rocailleux qui est la Sainte Montagne, surgit une ville véritable, encombrée de fidèles. Au centre, s’élève l’église qui surmonte la grotte fameuse. Au milieu d’une foule immense, bourdonnante, infiniment bruyante, parlant,