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aujourd’hui une capitale agricole de plus de 100 000 habitans. Elle est presque privée d’eau, ce qui constitue pour elle une véritable calamité. Ses monumens sont peu intéressans. Quelques places de la ville sont couvertes de pierres plates, dont chacune marque l’entrée d’un silo pour la conservation des grains.

Nous ne séjournons à Foggia que pour pouvoir aller le lendemain au sanctuaire du mont Gargano, un des buts principaux de notre voyage. Quand on traverse l’immense Tavogliere, en venant de l’Apennin, ou seulement de Troja, on a en face de soi, sur la droite et sur la gauche, la mer, et, juste en face, un énorme massif montagneux complètement isolé de toutes parts, entre la plaine et la mer Adriatique ; c’est là le fameux promontoire du mont Gargano, l’éperon de la botte que représente l’Italie méridionale. Au sommet de ce promontoire désert, à une hauteur de plus 800 mètres, dominant une immense étendue de terre et de mer, se dresse, au milieu d’une ville étrange en ces solitudes, une église élevée sur un des plus célèbres et des plus antiques sanctuaires chrétiens du monde : la grotte si renommée où, dès le VIe siècle, les foules primitives accouraient vénérer le glorieux archange saint Michel, l’archi-stratège des nuées célestes. Ce sanctuaire insigne a joué le plus grand rôle dans l’histoire de la conquête normande. C’est là que les hardis aventuriers normands, fils de Tancrède de Hauteville, venus ici au retour de Terre-Sainte pour saluer le grand Archange si populaire dans leur patrie, s’abouchèrent pour la première fois avec les patriotes longobards et firent alliance avec eux pour renverser dans l’Italie méridionale le pouvoir tyrannique séculaire du basileus de Byzance.

Le sanctuaire de l’Archange du Gargano, ou, plus exactement du Monte Sant’ Angelo, est encore aujourd’hui, en Italie méridionale, l’objet d’un culte immense. Tout le long de l’année, surtout au mois de mai, des milliers de rustiques pèlerins, par troupes villageoises sous la conduite des anciens de la commune, portant tous encore le costume classique des paysans de l’Italie méridionale, tenant à la main des palmes fleuries, chantant incessamment de pieuses litanies, traversent en lents et poétiques convois les plaines prodigieuses de la Pouille, puis, escaladant les chemins pierreux de la Sainte Montagne, vont implorer en d’ardentes prières, souvent à grands cris, le très