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gardait dans son esprit, et plus encore dans la manière dont elle a été pratiquée, quelque chose des anciennes institutions nationales. L’instruction publique qui fut généralisée et rendue accessible à tous, en même temps qu’elle comprenait l’étude des sciences et des langues d’Occident, restait de même imprégnée de l’esprit national : le rescrit impérial qui en a formulé les principes et résumé l’éthique est devenu comme le code de la moralité japonaise. Mais c’est dans l’organisation, le recrutement de l’armée et de la marine, que le Japon a peut-être le mieux su concilier l’esprit ancien et l’esprit nouveau, et renouer la chaîne des temps. Il a, par le service militaire personnel, par le système de la conscription, élevé tous ses fils à la dignité des anciens guerriers ou samurai ; il a ainsi promu toute la nation à un état de noblesse dans lequel le nouveau Japon, communiant avec l’esprit et la foi des ancêtres, a retrempé et comme doublé sa vertu et sa force.

Le Japon, dans cette crise de croissance et de renouvellement, est donc resté fidèle à lui-même : il n’est sorti de sa réclusion plus de deux fois séculaire, il ne s’est avancé sur la scène du monde que pour réapparaître, dans son adaptation aux temps nouveaux, tel qu’il a toujours été, hospitalier aux idées, aux influences du dehors, mais à condition que ces idées et ces influences entrent dans la composition et la substance de son originalité propre, dans la formation de son pur et solide métal. Les emprunts faits à l’Occident, il se les assimile, comme il s’est assimilé les emprunts faits à l’Inde et à la Chine. Et s’il a été dans sa destinée, après avoir en effet incarné en lui la culture indienne et chinoise, d’en tirer sa propre civilisation et de devenir ensuite, surtout depuis l’invasion mongole, comme le survivant et le représentant de la culture de l’Asie, il se rend compte que sa mission aujourd’hui peut être plus vaste, plus active, et consister à assumer dans l’Asie orientale un rôle plus étendu. L’unité de l’Asie, que l’invasion mongole a brisée, les relations et communications avec le continent asiatique qui, ranimées un instant au temps de la dynastie des Ming, se sont ensuite et de nouveau interrompues, n’est-ce pas à lui qu’il appartiendra de les reconstituer ?

C’est bien sous cet aspect qu’apparaît à Okakura la nouvelle et présente mission du Japon. Il lui semble qu’en prenant de plus en plus conscience de lui-même dans cette Restauration