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les monumens qui la dominent. Par eux, il parle, il règne, il agit.

« En plein quartier Latin, sous les sombres arceaux de Cluny, où Julien, vainqueur des Germains, fut proclamé empereur par ses légions, on s’aperçoit que Rome, la première, posa son empreinte sur l’oppidum gaulois. Un peu plus loin, au bord de la Seine, dans l’île mère de la cité, la cathédrale de Notre-Dame et la Sainte-Chapelle élèvent vers le ciel la grande pensée chrétienne du Moyen Âge avec leur flèche mystique. Longez les quais ; à la façade du Louvre, nous accueille le génie de la Renaissance italienne, assagie de majesté royale et de grâce française, avec, dans ses flancs, tous les trésors de l’art mondial. En face, sur l’autre rive, veille en retrait, modeste et sérieuse, la coupole de l’Institut, asile et synthèse des sciences et des arts. En amont de la Seine, au quartier populaire de Saint-Antoine, sur l’emplacement de la Bastille disparue, se dresse la colonne de Juillet, avec le Génie de la Liberté, qui s’élance dans l’espace infini. En aval, voici la place de la Concorde où l’âme nationale, aidée du génie de Napoléon, se formule en une merveilleuse image. Hélas ! ce fut ici la place de Grève, ensanglantée par tant de supplices au Moyen Âge et où tombèrent tant de têtes augustes sous la Révolution. Mais tout cela doit être effacé par un pacte de paix et de résurrection. Les lignes, l’encadrement, les perspectives de cette place sont uniques. Élégance dans la grandeur, harmonie dans la clarté, mesure dans l’expansion. On dirait qu’elle veut s’ouvrir au monde avec ses quatre voies, et cependant comme elle se recueille de nouveau en un seul point ! C’est l’obélisque de Gisèh qui darde sa fine aiguille, au centre de ce cadran national. Si j’étais vous, je me hasarderais peut-être à dire ceci : Le monolithe égyptien ajoute son verbe, au verbe des villes de France assises en cercle autour de lui. De ses quatre faces, il regarde à la fois, aux quatre coins de l’horizon, le Parlement et l’église de la Madeleine, le Louvre et l’Arc de triomphe de la Grande Armée. Il semble dire : Entre la politique et la religion, entre le pouvoir et la nation, seule la conscience de l’Éternel et du Divin peut joindre toutes les antithèses et apaiser toutes les haines dans l’unité de la patrie. Mais, n’étant qu’un simple observateur, je me contente de trouver que, placé à cet endroit, l’obélisque est un éloquent appel à l’équilibre entre les extrêmes et à la synthèse nationale.