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replia sur elle-même, et la Chine, tout occupée à se remettre du choc que lui avait infligé la tyrannie mongole, avait perdu son rayonnement intellectuel. Mais l’antique énergie d’expansion survécut dans la grande mer mouvante des hordes barbares, dont les vagues, parties de la longue muraille du Nord, venaient déferler et se briser sur le Pendjab., Les Huns, les Scythes, les Gètes, farouches ancêtres des Rajpouts, avaient été les précurseurs de cette grande invasion mongole, qui, aux temps de Gengis-khan et Tamerlan, se répandit sur le Céleste Empire pour l’inonder des « tantras »[1] du Bengale, et sur la péninsule indienne pour teinter l’impérialisme musulman de l’art et de la civilisation mongols. Car si l’Asie est une, il est également vrai que les races asiatiques forment un seul et puissant tissu… Si l’histoire de Dehli représente l’imposition du joug tartare sur un monde musulman, l’histoire de Bagdad et de sa grande culture sarrasine démontre le pouvoir des peuples sémitiques de manifester la civilisation et l’art de la Perse, ainsi que de la Chine, en face des nations franques du littoral méditerranéen. La chevalerie arabe, la poésie persane, la morale chinoise, la pensée indienne, tous ces témoignages nous révèlent une même et ancienne paix de l’Asie, au sein de laquelle s’est développée une vie commune, avec des floraisons caractéristiques et diverses selon les différentes régions. L’Islam lui-même peut être défini un confucianisme à cheval et l’épée en main. Il est très possible, en effet, de distinguer dans le communisme chenu de la Vallée jaune les traces de l’élément purement pastoral que nous voyons réalisé dans les races musulmanes. Et, pour nous tourner de nouveau de l’Ouest vers l’Asie orientale, le bouddhisme, ce grand océan d’idéalisme dans lequel se mêlent comme des fleuves tous les systèmes de pensée de l’Orient asiatique, n’est pas teinté seulement de l’eau sacrée du Gange : les nations tartares lui ont apporté le tribut de leur génie, un symbolisme nouveau, une organisation nouvelle, une nouvelle puissance de dévotion qui s’ajoutent aux trésors de la foi commune[2]. »

Cette unité de l’Asie, Okakura la poursuit et la retrouve dans le synchronisme constant de l’histoire de l’Inde, de la Chine, du Japon. Je reproduis ici le tableau chronologique placé

  1. Les « tantras » sont des œuvres écrites pour la plupart dans le Nord du Bengale, après le XIIIe siècle.
  2. Les Idéaux de l’Orient, p. 2 à 4.