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signée du clubiste Johannot : il félicitait Anspach, le consolait, pleurait sur Genève, sur ce « peuple républicain qui le premier peut-être avait mérité le titre de philosophe, et qui venait de prononcer, aux yeux de la France libre et de l’Europe tout entière, la violation des premiers principes de là morale et de la justice, la non-liberté de la conscience et des cultes. » Delholme, le secrétaire de la légation de France, écrivait qu’un pareil vote « lésait les convenances, la politique, la raison. » Mais le vote était acquis : lorsqu’en 1796 le pasteur Gasc proposera que l’on considère comme protestans ceux qui auront déclaré être tels devant les syndics, son vœu finira par succomber ; le baptême protestant, le fait d’avoir participé à une Cène protestante, demeureront légalement des conditions requises pour être réputé protestant, et subsidiairement Genevois. Genève montagnarde demeurait une Genève huguenote : son gouvernement révolutionnaire continuait d’administrer l’Eglise, il maintenait les deux chaires de théologie que le patriciat renversé lui avait léguées.

Des Genevois comme Dumont, comme Clavière, comme Duroveray, comme Reybaz, avaient, au début de la Révolution, joué un rôle aux côtés de Mirabeau, et peut-être avaient-ils inspiré, en partie, cette philosophie politique de la Constituante dont la liberté de conscience était un axiome. Genève les honorait ; mais Genève, une fois de plus, refusait aux Genevois eux-mêmes cette liberté. A Genève, comme à Paris, la Révolution proclamait les hommes égaux, et puis tuait ou bannissait un certain nombre d’entre eux : sur la Seine et sur le Léman, on pérorait de même, on massacrait de même ; mais il y avait un point, un seul, où Genève s’abstenait d’imiter Paris : Genève ne voulait pas la liberté des cultes. Que les papistes pussent devenir Genevois, impossible ! D’ailleurs Zurich et Berne, pensait-on, auraient pu exprimer leur mécontentement.

On avait assez lu les philosophes pour attacher quelque prix au mot de tolérance. On était, comme le siècle tout entier, devenu sensible, on désirait se montrer humain. Des prêtres français qui avaient émigré à Genève trouvaient accueil dans des familles protestantes, même parfois chez les pasteurs, mais on continuait de concevoir comme incompatible avec l’idée même de Genève, avec son essence, avec sa cause finale, si je puis ainsi dire, le fait que dans cette ville un membre du corps souverain pût n’être pas protestant.