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genevoise. Ce fut une grande faiblesse pour l’éducation calviniste, telle qu’elle fut donnée dans les chaires de Genève, de ne fournir à l’opinion publique genevoise aucun argument en faveur des réformes : les Genevois qui voulaient devenir libres, qui voulaient devenir égaux, qui voulaient que leur démocratie cessât d’être une aristocratie, remontaient au-delà de Calvin, jusqu’au moyen âge ; ce n’était pas en vertu de leur protestantisme, au nom de leur protestantisme, que comme citoyens ils luttaient. Il était naturel, dès lors, que les préoccupations des partis, uniquement subordonnées à des intérêts temporels et tout laïques, prévalussent délibérément sur la vieille préoccupation de faire régner Dieu : dans l’âme de ces Genevois qui se battaient entre eux, et qui pour se vaincre les uns les autres convoquaient dans leurs Conseils et dans leurs murs les diplomates ou les soldats des puissances « idolâtres, » l’idée de la vocation genevoise était, non point certes abolie, — nous la croyons indestructible, — mais tout au moins voilée.


III

La foi même où cette idée trouvait sa racine et sa force allait s’affaiblissant. Dès le début du XVIIIe siècle, l’incrédulité s’était infiltrée dans Genève. L’héroïque Pierre Fatio, exécuté en 1707 pour avoir tenté de renverser la Constitution, avouait au pasteur Pictet qu’il avait, quelques années durant, été incrédule. Son ami politique Robert Vaudenet déclarait ne croire ni au Christ, ni à la Rédemption, ni à aucune révélation, et ajoutait, non sans quelque outrance, qu’il y avait à Genève quantité de personnes très distinguées et très éclairées qui étaient dans les mêmes sentimens. Quand les âpres formulaires ne furent plus là pour empêcher l’esprit même de la Réforme de souffler librement et d’émietter opinions et consciences, ce fut le tour aux pasteurs, d’entrer en coquetterie avec le siècle sous les auspices mêmes de l’esprit de la Réforme, enfin réintégré, enfin retrouvé. Et l’on vit ces hommes « vertueux, éloquens, éclairés, modérés, patriotes, » dont Rousseau fait un si bel éloge en 1754 dans sa Dédicace à la République de Genève, laisser s’effriter, peu à peu, tout ce qu’avait cimenté Calvin par son éloquente parole, par ses sueurs, par le sang d’autrui.

Les courans mystiques qui s’infiltraient alors à Genève