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éditait le dictionnaire de Bayle, ne pouvait garder des formulaires qui devaient nécessairement, au nom du principe même de la Réforme, se présenter comme dépourvus de toute autorité divine : ces entraves humaines méritaient leur sort.

En fait, sur leurs ruines définitivement amoncelées, une autorité subsistait encore, à côté de celle de la Bible : le catéchisme de Calvin, qui, deux fois la semaine, s’expliquait toujours dans chacune des trois paroisses de Genève. Mais si la Compagnie déclarait qu’il contenait la substance de la doctrine, elle ajoutait « qu’il n’était pas égal à l’Evangile et qu’on n’était pas forcé de le suivre en tout. » Ainsi s’affirmait dans l’Eglise de Genève, très au-dessus de l’ascendant dogmatique de Calvin, le principe de la liberté d’interprétation de l’Evangile : l’heure.était proche où ce principe allait balayer l’auguste opuscule de Calvin. Déjà, en 1709, la liberté des catéchismes dans les écoles avait été adoptée ; et le XVIIIe siècle ne s’achèvera pas avant que la Compagnie des Pasteurs de Genève, tenant compte de l’esprit public, ait installé un catéchisme à peu près déiste aux lieu et place du catéchisme de Calvin.

Avec Jean-Alphonse Turrettini, ouvrier responsable de ces prochaines et lointaines nouveautés, s’inaugurait un cortège de pasteurs genevois singulièrement différens de ceux qui cent ans plus tôt, à Dordrecht, brandissaient l’anathème. Le temps n’était plus où Théodore Tronchin prenait à Genève, dans Sainte Pierre, la lumière de Dieu, s’en allait la porter en Hollande, en foudroyait ceux qui ne s’en voulaient pas laisser éblouir, et puis rentrait à Genève, ayant enseigné le monde, et n’y rapportant rien de plus que la vérité intégrale qu’il en avait emportée. ; Un Turrettini, un Jacob Vernet, étaient des hommes qui avaient voyagé pour apprendre quelque chose, pour trouver hors de Genève un surcroît de culture, et pour en faire profiter Genève., C’était là une attitude très neuve. Elle les amenait à se rendre compte que l’on pouvait acquérir, sur Dieu et sur les hommes, certaines notions qui ne s’acquéraient point à Genève. Avec eux, Genève intellectuelle cessait de se suffire à elle-même. Elle ne considérait plus seulement les autres peuples comme des écoliers qui venaient à elle ou qu’elle allait gronder chez eux ; elle estimait qu’auprès d’eux on pouvait prendre des leçons. L’intelligence du peuple de Dieu sentait désormais avoir besoin des autres peuples, pour se former elle-même. Les pasteurs de