Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/576

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La « malice » de « cet exécrable » méritait châtiment. C’est un fou, disaient quelques pasteurs, qui penchaient pour l’indulgence. — Mais non, ripostaient les autres, ce n’est pas seulement dans ses heures de folie qu’il a blasphémé ; ces blasphèmes furent antérieurs à sa folie, et ces blasphèmes y ont survécu ; « sa folie ne fut qu’une forme du jugement de Dieu, par lequel Dieu les manifestait ; » cet homme mérite la mort. Telle fut la conclusion de la majorité des pasteurs ; et conformément au mot de la Bible, solennellement rapporté par l’un d’entre eux : « Tu racleras les méchans du milieu de toi, » Nicolas Antoine fut conduit à Plainpalais, étroitement garrotté, afin que les blasphèmes demeurassent au fond de sa gorge, puis étranglé et enfin brûlé ; et le procès-verbal constate que, le bourreau l’ayant délié du poteau où il avait été étranglé, on le vit encore « remuer la tête et les jambes, lorsque le feu fut mis au bûcher, tellement il sentit encore l’un et l’autre supplice en son corps. » Les Genevois, en voyant ce relaps souffrir ainsi deux morts, apprirent, par une juste frayeur, que chacun doit « se rendre docile à croire ce que Dieu nous a révélé. »


IV

A l’arrière des remparts de la ville se hérissaient, dans l’Académie, les remparts du dogme, révélé par Dieu, proclamé par Calvin. C’étaient comme deux cercles concentriques, qui rendaient de plus en plus jalouse, de plus en plus intransigeante, l’humeur de ceux qui s’y enfermaient. L’esprit de défiance du factionnaire en armes tenait en haleine les défenseurs de l’orthodoxie calvinienne. On maintenait avec scrupule, par une sorte de consigne militaire, — et rien ne devient plus aisément une routine qu’une telle consigne, — toute l’armature de la théologie de Calvin. De loin, certains réformés s’en étonnaient : l’un d’eux, dès 1567, avait écrit à Bèze : « Ne parlez pas de manière à faire croire que nous sommes membres d’un Calvin et non de Christ ; défendez la vérité en vous réclamant de l’autorité que vous recommandez vous-même dans vos écrits, comme supérieure à toute autre, et laissez ce nom de Calvin un peu tranquille. »

On n’avait pas laissé ce nom tranquille : on l’agitait au contraire, on le brandissait comme une arme. Peu à peu, dans