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ordinairement liés séparément ou par groupes de cinq à dix. Le reste, vieillards, femmes et enfans, a été considéré comme épave et mis à la disposition du peuple musulman ; le plus haut fonctionnaire, comme le plus simple paysan, choisissait la femme ou la fille qui lui plaisait et la prenait comme femme, la convertissant par force à l’islamisme ; quant aux petits enfans, on en prit autant qu’on en voulait et le reste fut mis en route, affamé et sans provisions, pour être victime de la faim, si ce n’est de la cruauté des bandes. Les choses se sont passées ainsi à Kharpout. Il y a eu massacres dans la province de Diarbékir, particulièrement à Mardine, et la population a subi les mêmes atrocités.

« Dans les provinces d’Erzeroum, de Bitlis, de Sivas et de Diarbékir, les autorités locales ont donné des facilités aux déportés : délai de cinq à dix jours, autorisations de ventes partielles de biens et liberté de louer une charrette pour quelques familles ; mais, au bout de quelques jours, les charretiers les laissaient à mi-chemin et revenaient en ville. Les caravanes ainsi formées rencontraient le lendemain, ou parfois quelques jours après, des bandes ou des paysans musulmans qui les dépouillaient entièrement. Les bandes s’unissaient aux gendarmes et tuaient les rares hommes ou jeunes gens qui se trouvaient dans les caravanes. Ils enlevaient les femmes, les jeunes filles et les enfans, ne laissant que les vieilles femmes, qui sont poussées par les gendarmes à coups de fouet et qui meurent de faim à mi-chemin. Un témoin oculaire raconte que les femmes déportées de la province d’Erzeroum sont laissées dans la plaine de Kharpout, où toutes sont mortes de faim (quarante à cinquante par jour), et l’autorité n’a envoyé que quelques personnes pour les enterrer, afin de ne pas compromettre la santé de la population musulmane.

Une petite fillette nous raconte que lorsque les populations de Marsouan, Amassia et Tekat sont arrivées à Sari-Kichla (entre Sivas et Césarée) devant le Gouvernement même, on arracha les enfans des deux sexes à leurs mères, on les enferma dans des salles et on obligea la caravane à poursuivre son chemin ; ensuite, on fit savoir aux villages voisins que chacun pouvait en prendre à son choix ; elle et sa compagne ont été enlevées et emmenées par un officier turc. Les caravanes de femmes et d’enfans sont exposées devant le gouvernement de