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pas la Prusse, que ce réveil n’émouvait point, et pas l’Autriche dont ce n’était guère la spécialité de coopérer à la résurrection des peuples, elles, sans les Allemands, sans les Autrichiens, contre les Turcs (et les Bulgares, qui étaient Turcs), ont garanti l’existence du nouveau royaume. Mais elles n’oublient pas davantage qu’elles n’ont garanti l’existence que d’un État libre, indépendant et constitutionnel. Puisque, de tout son poids, la masse allemande pèse sur le gouvernement grec, pour l’entraîner de son côté, le pousse à des partis violens, se vante de lui dicter ses fantaisies tyranniques, et de s’en servir contre nous en l’asservissant, il est bon qu’on ne l’oublie pas non plus à Athènes. Le peuple s’en souvient, et s’apercevrait vite que ce qu’on tente contre nous, on le fait contre lui. Quant au Roi et au Ministère, et à ce qui les entoure, ils n’ont, dans leurs espoirs et leurs ennuis, jusqu’à présent regardé que vers les montagnes : il commence à être temps qu’ils tournent leurs soucis et leurs scrupules vers la mer.


Par toutes les routes du Monténégro et de l’Albanie, ou par ce qui en tient lieu dans ces contrées encore primitives, par les sentiers à peine frayés et par les pistes muletières, l’exode serbe continue, lamentable. Comme de Belgique, une nation entière s’en va, ruinée et déracinée. On ne sait si, depuis la Pologne, rien de pareil s’était vu dans le monde. Une série tragique d’images nous montre le roi Pierre, le roi errant, plus malheureux que le roi Albert qui du moins a pu s’accrocher à un dernier lambeau du sol de la patrie, traîné dans une charrette à bœufs sur le chemin de l’exil, obligé de faire à pied les dernières étapes, tombé de lassitude sur un rocher, entrant, pour s’y reposer un peu, dans une cabane abandonnée. D’autres images représentent le voïvode Putnik vieux et malade, hier vainqueur, traversant le pont des Vizirs dans une chaise portée par quatre soldats et suivie d’une longue file de fugitifs. Des débris de ce grand naufrage sont arrivés jusque chez nous. La vaillance de l’armée serbe avait excité notre enthousiasme ; la catastrophe qui a couché et dispersé le peuple serbe a éveillé et ne laissera pas se rendormir notre pitié. Dès que nous avons appris que, là-bas, des centaines de milliers de victimes ensanglantées, harassées de fatigue, usées de privations, mouraient de faim, nous n’avons pas perdu une minute pour les secourir. Une commission de ravitaillement a pourvu d’urgence à l’indispensable ; et toutes les Puissances de l’Entente ont tenu à honneur d’y participer.