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Chinois plus nombreux, plus civilisés mais moins aguerris. Très souvent on voit le vainqueur subjugué par le vaincu plus civilisé. Rome le fut par Athènes ; le Franc par le Gallo-Romain ; le Mandchou par le Chinois.

Quant aux peuples militaires proprement dits, c’est-à-dire ayant la guerre comme industrie nationale, tels les Assyriens, les Spartiates, leur essor a été passager, leur existence brève, leur ruine totale. Les Spartiates étaient des rustres qui n’ont pas laissé un homme de génie. On ne sait même pas où était Sparte. Les Turcs disparaîtront, quoique d’une race guerrière longtemps victorieuse, mais réfractaires à une civilisation supérieure. Non moins guerriers étaient les Havares, les Mongols de Tamerlan, les soldats de Gengis Khan. Tous ont disparu de la terre sans laisser de traces.

Les Suédois de Gustave-Adolphe, de Charles XII faisaient la loi en Europe à une époque où la Suède ne possédait qu’une civilisation bien arriérée. Les victoires de ces deux héros ont été funestes à leur pays par l’épuisement en hommes qu’elles ont entraîné. Carthage, Venise, la Hollande, l’Angleterre, tant d’autres villes et pays petits ou grands ont prouvé qu’on peut être très puissant, durer, atteindre une haute culture sans être militarisé.

Les Romains militarisés conquérans n’avaient dans leur langue aucun terme scientifique. Tout ce qui est relatif aux arts, à la science, à la philosophie est désigné chez eux par des mots grecs. Les jeux du cirque sont l’indice d’une barbarie, d’un mépris de l’humanité inégalés ; leurs mœurs privées n’étaient pas moins cruelles ; mais, après la conquête, il n’y avait plus de Romains. La civilisation qu’ils ont propagée était grecque. Rome ne serait plus qu’un marécage sans la Grèce et l’Eglise.

L’Allemagne doit évidemment sa grandeur politique à ses institutions militaires, à la politique des Hohenzollern, à la subordination de toutes les forces et de toutes les ressources à l’intérêt de l’État. Des auteurs allemands se sont donné beaucoup de mal pour démontrer que les œuvres de l’esprit en Allemagne s’étaient épanouies par le militarisme. C’est ainsi que, dans un article paru il y a quelques semaines et que nous avons sous les yeux, M. le professeur von Below, de Fribourg-en-Brisgau, nous présente le génie de Kant comme lié au militarisme prussien par cet argument que le vieux philosophe : le vieil apôtre de la paix éternelle goûtait, dit-on, beaucoup la musique militaire, et ouvrait sa fenêtre lorsqu’elle passait ! Il n’y a assurément rien à répondre à des argumens de cette force. Mais une