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Heine a opposé son livre : De l’Allemagne, à celui de Mme de Staël, trop favorable à son avis ; il ne revendique pour ses compatriotes aucune supériorité, sauf celle de la grossièreté. D’après Nietzsche lui-même, barde et prophète du surhomme, l’Allemand manque de quelques siècles de fermentation morale.

Comment des aveux du genre de ceux d’Haugwitz et de tant d’autres doctrinaires du crime ont-ils pu être publiés ? Est-ce cynisme ? Est-ce conviction que personne ne se préoccupera des publications allemandes ou n’en tirera des conclusions ? Ce ne serait déjà pas si mal raisonné. N’avons-nous en effet pas vu récemment de très bons Français, et même un ancien ministre de l’Instruction publique, proposer sans rire de cesser dès maintenant l’enseignement de la langue allemande dans les écoles françaises ?

Voilà une belle insanité à mettre à côté de la proposition que nous firent naguère de très graves personnages, de bannir pour toujours la musique allemande de nos tympans. Que ne nous propose-t-on aussi de ne pas utiliser les rayons X pour radiographier nos blessés, puisque c’est Rœntgen qui les a découverts, ou de bannir la T. S. F., sous prétexte que Hertz a eu une part dans sa découverte ?

Il faut réagir absolument contre cet état d’esprit enfantin, absurde et nuisible. C’est en connaissant bien nos ennemis qui resteront demain et toujours nos adversaires dans tous les domaines, que nous réaliserons la condition première de la victoire. Leur force provient précisément de ce qu’ils ont admirablement su tirer parti des trouvailles et des progrès de leurs voisins, de ce que j’appellerai leur « art d’utiliser les restes. » Ne craignons pas de les imiter à cet égard, et admirons chez eux l’état d’esprit pratique, qui, sur leurs fléchettes d’aéroplane, leur a fait graver cette inscription symbolique dans sa lourde ironie : « Invention française, fabrication allemande. »

Et maintenant je le demande, quand on se souvient que la science est par définition la recherche et le culte de la vérité, est-il rien de plus éloigné de la science, est-il rien qui soit plus anti-scientifique, plus ascientifique, si j’ose dire, que ces doctrines monstrueuses par lesquelles on a dressé au crime tout un peuple ? Est-il rien qui soit, à la pure figure de la science, un outrage comparable à ce système de mensonge national ? Entre un Ostwald, lauréat du prix Nobel de chimie et protagoniste de ces théories, et pour qui l’Allemagne est au-dessus de tout, même de la vérité, et un Etienne Lamy qui s’écrie : « Une seule devise est digne de la France. Au-dessus de tout la vérité. » entre ces deux hommes, je n’hésite pas, je dis que c’est le second, le