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y ajoute quelques sophismes rebattus, préalablement rajeunis d’une couche de peinture fraîche, et c’est ainsi que la science, cette pelée, cette galeuse d’où venait tout le mal, s’est vue plus que jamais vouée aux gémonies en vertu de raisonnemens que nous allons brièvement discuter et qui peuvent se résumer ainsi : 1° La prépondérance et le progrès de la science allemande, le développement scientifique de l’Allemagne tant pacifique que militaire sont cause de l’abominable rétrogradation morale constatée dans cette nation ; 2° cette prépondérance de la science allemande est liée, de l’aveu même des savans allemands, à celle du militarisme germanique ; 3° donc la science est une chose détestable, dont l’Allemagne telle que nous la voyons est le produit et le champion, tandis que les ennemis de l’empire allemand sont les défenseurs des disciplines sentimentales, qui sont toujours et irréductiblement opposées à la science.

Voyons ce qu’il faut penser de tout cela.


La science allemande est-elle prépondérante ? L’Allemagne a-t-elle eu dans l’histoire passée des sciences, a-t-elle dans leur histoire contemporaine une primauté ? C’est une question souvent examinée depuis quelque temps. Ici même, M. Emile Picard l’a traitée avec une remarquable maîtrise pour ce qui concerne les sciences physico-mathématiques. Dans sa belle leçon d’ouverture au Collège de France, M. Henneguy l’a abordée pour le groupe des sciences biologiques. Il serait aisé de faire de même pour les sciences historiques. La vérité c’est que de tels dosages, de telles comparaisons, sont difficiles à faire. Quelle est la balance qui nous permettra de soupeser côte à côte un Leibnitz et un Descartes, un Bradley et un Bessel, un Laplace et un Gauss ? L’importance du rôle joué par un pays dans l’histoire de la science dépend d’un très petit nombre d’hommes de génie ; et comme le génie est sporadique, comme il est en général complètement indépendant du milieu dans lequel il se développe et sans commune mesure avec lui, on conçoit la difficulté de telles comparaisons. Pourtant il résulte avec certitude des études consciencieuses que nous venons de citer que le rôle de l’Allemagne dans la science moderne est loin d’être d’une importance supérieure, sinon égale, à celui de la France ou de l’Angleterre. Si Kepler, Gauss, Kirchoff, Hertz, Helmholtz, Koch furent Allemands, Newton, Davy, Darwin, Maxwell, Faraday, Lister étaient Anglais ; Descartes, Laplace, Lavoisier, Carnot, Ampère,