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condamné. La nation anglaise comprend que ce vieux régime n’est plus capable de fournir les armées nécessaires à la victoire.

Sans doute il ne s’agit encore que de l’appel forcé d’un nombre d’hommes restreint, mais le premier pas fait dans cette voie, les gouvernans anglais y persévéreront selon les besoins de l’heure, et la nation, enfin réveillée, ne manquera pas de les suivre.

Ainsi, après avoir dans un magnifique effort formé des milliers de volontaires, la Grande-Bretagne a pris conscience que ce n’était pas assez, que des sacrifices encore plus grands devenaient nécessaires.

Sans doute, le péril d’une invasion allemande en Angleterre paraît écarté. La flotte germanique, réduite par la perte de nombreux croiseurs de bataille, n’ose plus s’aventurer hors du canal de Kiel, qui joue sur le front de mer le rôle d’une grande tranchée. L’activité meurtrière des sous-marins allemands s’est ralentie dans les mers du Nord, tandis que l’apparition inattendue des sous-marins anglais dans la Baltique, appuyés sur des bases navales russes, cause à la Hochsee flotte un malaise grandissant et entrave singulièrement la navigation dans cette mer jusqu’alors librement allemande. Mais la vigilance des men of war britanniques demeure impuissante contre les oiseaux nocturnes du comte Zeppelin ; et les raids meurtriers des grands pirates de l’air ont démontré que l’insularité de l’Angleterre ne suffit plus à protéger son sol contre les insultes, ni ses habitans contre les atteintes d’un ennemi entreprenant et sans scrupules.

D’autre part, l’incessante augmentation de dépenses formidables, l’immensité des pertes chiffrées aujourd’hui à plus d’un demi-million d’hommes, — la fixité des lignes anglaises dans les Flandres en face d’une redoutable muraille d’acier et de béton, l’extension grandissante des fronts de guerre avec leur consommation croissante d’hommes, tout démontre aux esprits anglais que l’heure est venue pour chacun de prendre sa part d’une lutte décisive et sans merci !

Enfin, la marche des Allemands sur Constantinople a achevé de convaincre les moins clairvoyans, en atteignant le principe même de toute la politique anglaise. « Napoléon est allé en Égypte par mer, écrivait récemment le capitaine de vaisseau allemand Persius, un critique autorisé. Aujourd’hui, pour