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parler de lui. Notons aussi que beaucoup d’Espagnols sensés sont hostiles à toute politique d’extension territoriale ; ils y trouvent beaucoup plus d’inconvéniens que d’avantages pour la nation ; enfin le peuple tout entier renâcle devant la perspective d’une guerre, même réduite à la taille d’une simple expédition coloniale. Il n’en est pas moins vrai que tous se feraient hacher plutôt que de renoncer à ce qu’ils regardent comme le droit strict de leur pays : l’honneur est engagé. C’est pourquoi, lorsque nous venons à eux, le sourire aux lèvres, les libéraux nous répondent comme les conservateurs :

— Vous nous apportez de bonnes paroles, et vous ne nous apportez, que cela ! Ou bien vous nous adressez d’éloquentes considérations sur la justice et la liberté des peuples. A quoi bon ? Nous sommes tous d’accord sur ces grands principes, lesquels d’ailleurs ne sont pas plus français qu’espagnols. Mais, en échange d’une amitié plus effective, que nous offrez-vous de solide ? Nous avons des questions pendantes à régler au Maroc. Nous avons des traités de commerce à réviser en commun, des tarifs douaniers à remanier. Vos droits prohibitifs nous empêchent de vendre nos vins, nos fruits, tous nos produits agricoles. Avez-vous songé à cela ?…

Il est certain : tant qu’on n’aura pas envisagé sérieusement ces questions, de part et d’autre, les plus belles protestations du monde resteront en l’air. Etant donné l’état d’esprit qui règne dans la Péninsule, il importe même de prévoir de pires mécomptes. Si des chances favorables se présentaient permettant de considérer comme possible la réalisation de certaines aspirations nationales, les libéraux eux-mêmes, ces libéraux qui se donnent comme nos amis, se verraient, — la mort dans l’âme, — débordés et entraînés par le mouvement général de l’opinion. Avons-nous tout fait, avons-nous même fait quelque chose, pour leur persuader que leur intérêt n’est pas inconciliable avec le nôtre, autrement que dans le domaine théorique des idées ? Tout est là. Sinon, c’est le champ libre à toutes les surprises.


Après cet exposé, — aussi consciencieux et aussi complet que je l’ai pu faire, — de l’opinion publique espagnole, je me garderai, et pour cause, d’en tirer des conclusions : je laisse ce