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Espagne, on la voit et on la sent tous les jours. De là des rancunes et des colères, dont nous n’avons pas idée. Il faut avoir entendu des Basques s’expliquer sur ce sujet. Quand ils y touchent, ces gens ne se possèdent plus. Ah ! ils tiennent leur promesse : ils n’ont rien oublié ! En France, on ne songeait guère jusqu’à ces derniers temps à tel politicien obscur, qui avait eu son moment de célébrité à l’époque de la loi de séparation. Il avait à peu près sombré dans l’indifférence publique. En Espagne, son nom seul continuait à exciter des fureurs, comme s’il était toujours au pouvoir, j’allais dire : comme s’il était toujours vivant. On ne saurait trop le répéter : nous ne nous rendons pas compte de la blessure douloureuse que notre politique sectaire a infligée à la conscience de nos voisins, de l’insulte faite à leur foi. Avec les carlistes, en particulier, toute discussion de sang-froid est impossible sur cette question brûlante. Immédiatement, c’est le ton de l’invective et de l’anathème. Ou bien, c’est quelque chose de pis : un mutisme glacial, qui signifie un dédain sans bornes et une hostilité sans merci. En somme, nous avons créé à nos portes un état d’inimitié analogue à celui que nous reprochons tant à Louis XIV d’avoir suscité en Hollande et en Allemagne par la révocation de l’Edit de Nantes. La présence à l’étranger de nos réfugiés catholiques qui, pourtant, restent de bons et fidèles Français, nous fait autant de mal que, voilà deux siècles, celle des réfugiés protestans.

Quand on a l’honneur de défendre au dehors la cause de son pays, il convient de jeter un voile sur ses erreurs et sur ses dissensions intestines. On y cherche des explications, des palliatifs. On objecte aux Espagnols les persécutions de Bismarck contre les catholiques allemands, on leur rappelle le Kulturkampf (il est vrai que certains d’entre eux ignorent jusqu’à ce mot et qu’ils le prennent pour une expression de technique militaire). Et puis d’ailleurs, tout cela n’appartient-il pas au passé, tout cela n’est-il pas entré dans l’histoire ? A quoi bon ranimer le souvenir de nos vieilles querelles ? Un esprit nouveau inspire « l’Union sacrée. » On ose se porter garant que la République s’aperçoit enfin de la place énorme que le catholicisme tient dans le monde. Sa politique n’en sera-t-elle pas modifiée dans le sens de la tolérance et de la paix religieuse ?… Malheureusement, ces propos sont accueillis avec