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délicate, embarrassante pour l’interlocuteur. On devine bien, quand on la lui pose, qu’il n’ose pas déclarer toute sa pensée. Cependant quelques-uns ont fini par me dire :

— Vos catholiques, oui, certainement, ce sont de très braves gens. Ils sont pieux, ils vont à la messe, ils assistent à tous les offices, ils pratiquent avec exactitude, ils sont charitables, pleins de bonnes idées et de bonnes intentions, ils ont bon cœur, ils donnent pour toutes les œuvres, pour toutes les missions. Nous reconnaissons volontiers leurs qualités. Mais, que voulez-vous, ils ne sont pas un parti puissamment organisé, capable de résister à l’ennemi et de lui imposer sa loi. Ils peuvent souffrir la persécution sans défaillance, aller même jusqu’au martyre : ce ne sont pas des hommes d’action. Car enfin, il ne s’agit pas de mourir, — et même de bien mourir, — il s’agit de lutter et de vivre. Les vôtres se laissent tondre sans autre protestation que celle peu efficace de la parole ou de l’écriture !…

En vain, rappelle-t-on à ces belliqueux Espagnols que les catholiques français ont poussé la résistance jusqu’à la limite du possible, chaque fois que des mesures vexatoires ont été prises contre eux. On a beau alléguer les bagarres violentes qui, lors de la loi de séparation, ont accompagné les inventaires des églises : cela ne les satisfait point. Alors quoi ? La guerre civile ?… et la guerre civile sous les yeux de l’ennemi, qui nous guettait de l’autre côté de la frontière ? L’Espagne, qui jusqu’ici n’a pas eu à compter avec le péril germanique, pouvait se permettre le luxe de ces guerres-là. Nous autres, nous ne connaissons que la guerre nationale.


Cette froideur et cette antipathie invincibles à tout raisonnement s’expliquent par des rancunes profondes, que nos gouvernans ont accumulées, comme à plaisir, contre nous, et que nos catholiques de France, il faut bien le dire, n’ont rien fait pour atténuer. Notre politique antireligieuse nous a mis à dos non seulement les catholiques, mais les croyans du monde entier. Je me rappelle encore le scandale qu’elle excita en Orient, même dans les milieux islamiques, lors de la loi sur les congrégations. Gambetta s’est cru très fort en lançant sa fameuse formule : « L’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation. » Comme s’il valait mieux en tant qu’article d’importation,