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le pour et le contre. Bien qu’ils connaissent mal nos ennemis, ils sentent de quel poids écrasant serait, pour eux, l’amitié obligatoire d’une Allemagne victorieuse. Et, d’autre part, ils s’éliraient des conséquences possibles de la victoire française : les partis de désordre n’en seraient-ils pas encouragés dans la Péninsule ? Le nouveau prestige de la France républicaine n’entrainerait-il pas, à l’étranger, une recrudescence de propagande révolutionnaire et anticléricale ? Ils écoutent nos réponses à ces dernières objections, mais sans en être très convaincus. Un alcade de village, au pays basque, résumait assez bien cet état d’esprit, dans une de ces formules sentencieuses, que les paysans affectionnent. Il disait à des religieux français, ses administrés, qui essayaient de le convertir à notre cause :

— Si la France est vaincue, mauvais ! Si elle triomphe, c’est pire !

La question est de savoir si ce n’est pas le triomphe de l’Allemagne qui serait pire. Mais, là-dessus, ils récusent naturellement tout ce que peut alléguer un Français. Au fond, ces indécis, et peut-être la grande masse du peuple espagnol, espèrent que tous les belligérans, vainqueurs et vaincus, seront tellement épuisés par la guerre que, pendant longtemps, ils demeureront hors d’état de nuire. Et ainsi, l’Espagne restera bien tranquille. Sans avoir tiré l’épée, elle profitera même de la déconfiture générale. On n’ose pas trop avouer ces sentimens devant l’étranger. On sent bien qu’une telle attitude n’est pas très brillante. Cependant, beaucoup de mes interlocuteurs, à bout d’argumens, ont fini par me déclarer crûment la chose.

D’autres indécis appartiennent à une catégorie plus subtile, plus intellectuelle. Ce sont, par exemple, des prélats hommes du monde ou hommes d’études, quelquefois les deux ensemble, gens aimables, distingués, d’une politesse exquise. Avant tout, ils ne voudraient rien dire de blessant pour le visiteur, pour l’hôte qui arrive d’un pays si éprouvé. Ils écoutent beaucoup plus qu’ils ne parlent. Ils ne se décident à aborder les sujets brûlans qu’à la dernière extrémité… Oui sans doute, ils plaignent la Belgique ! Il en est même qui ont écrit des brochures en sa faveur, mais avec toute la prudence requise, sous le voile de l’anonyme. Et ils plaignent aussi la France envahie, ils lui prodiguent les bonnes paroles, mais ils ne veulent pas aller plus loin, ils refusent de prendre parti, du moins