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et non pas seulement dans la bouche de francophiles comme mon ami, mais surtout dans les milieux carlistes intransigeans où l’on est fanatique de l’Allemagne. Personne ne dit plus de mal de l’Espagne que les Espagnols. J’étais obligé de prendre contre eux la défense de leur propre pays.

Évidemment, ils exagéraient par passion politique et aussi par excès de patriotisme, en amoureux jaloux qui ne tolèrent aucune défaillance dans l’objet de leur flamme.

Au sortir de ces entretiens, j’observais avec plus d’attention ce qui se passait autour de moi, et, contrairement à ce que me répétaient ces détracteurs par amour, mon impression de passant était bonne, et même flatteuse pour l’Espagne. J’avais sous les yeux des gens heureux de vivre et qui, après tout, n’ont aucune raison de ne pas continuer allègrement la fête de l’existence. Dans les provinces industrielles, en Catalogne, en Biscaye, dans l’Aragon, je constatais un redoublement d’activité. Partout on fabrique des munitions, des armes, des tissus et des chaussures pour l’étranger. Le paysan lui-même vend son bétail et ses denrées à des prix excellens. Jamais l’argent n’a circulé avec autant d’abondance dans le pays. Sans doute, à Madrid et dans les grandes villes, on se plaint de la vie chère, surtout de la hausse du pain, on pille de temps en temps quelques boutiques de boulangers : ce sont là incidens communs en Espagne. Dans les centres laborieux, à Bilbao, à Santander, à Barcelone, les maisons neuves suent le luxe et la prospérité. On sent un peuple qui marche, qui veut absolument reprendre sa place parmi les grandes nations modernes. Avec cela, une armée d’une très belle tenue, bien équipée, bien disciplinée, des soldats qui, au dire des meilleurs juges, sont à la fois très sobres, très endurans et très braves, des officiers qui semblent prendre leur métier très à cœur, un Roi qui s’y intéresse passionnément…

Songeant à tout cela, je me disais : Comme il sera difficile de les ramener à nous, de changer les dispositions de ces gens qui se trouvent fort bien comme ils sont ; qui, en somme, gagnent plus à la guerre qu’ils n’en souffrent ; qui, d’ailleurs, admirent nos ennemis, qui brûlent de se mettre à leur école !…. Je l’éprouvai cruellement, lorsque, sortant des généralités courantes sur la germanophilie espagnole, je me mis à étudier en détail les variétés de l’opinion et à discuter la longue liste des