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politiques, et, pour d’autres raisons, presque tout le clergé. Ce qui les étonne démesurément, ce sur quoi ils ne cessent de se pâmer, c’est l’organisation matérielle de l’Allemagne moderne. Ils en ont plein la bouche. Ce seul mot d’organisation est l’argument péremptoire qui, pour eux, rend toute espèce de discussion inutile. Naturellement, la plupart n’ont qu’une notion très superficielle, quand elle n’est pas purement fantaisiste, de la culture allemande et du caractère allemand. Ils ne connaissent le Teuton que pour l’avoir vu, chez eux, obséquieux et empressé, prêt à toutes les platitudes pour placer sa marchandise. Même les intellectuels s’en font un tableau idyllique, un peu comme les nôtres avant 1870. Au cours d’une discussion avec un éminent jésuite espagnol, je remarquai la surprise de mon interlocuteur, lorsque je crus devoir lui rappeler que son ordre est expulsé d’Allemagne. Je vis le moment où il allait me donner le démenti.

Cette ignorance est particulièrement choquante chez les catholiques, qui considèrent Guillaume II comme un sauveur, et qui s’obstinent à ne voir en lui que le protecteur, tout momentané et d’ailleurs très intéressé, du catholicisme. Mais cette protection suffit, à leurs yeux, pour que lui et ses sujets soient doués de toutes les vertus. Récemment, à Madrid, on me mit entre les mains le texte d’un discours d’apparat, prononcé pour la rentrée solennelle du grand séminaire. L’orateur n’avait pas manqué une si belle occasion de dire son mot sur les vertus édifiantes du germanisme. Veut-on savoir ce dont il loue le plus les Allemands, ce qu’il admire comme leur qualité dominante ? Eh bien, c’est la modestie, tout simplement ! « La race teutonne est grande, dit-il, et sa grandeur a son fondement dans son humilité[1]… » On croit rêver quand on lit cette phrase stupéfiante. Et, comme il fallait s’y attendre, cette modestie et cette humilité forment un parallèle instructif avec la vanité et l’outrecuidance françaises. Souhaitons que nos voisins ne paient pas trop cher de semblables illusions. Comme ils changeraient de ton, s’ils avaient ces « humbles » Allemands non pas même pour vainqueurs, mais simplement pour alliés ! Ils verraient de quel train leurs bons amis les feraient marcher et, en fin de compte, le bât dont ils seraient bâtés !

  1. De Paidologia, discurso inaugural pronunciado en la apertura del curso de 1915 à 1916 en el Seminario conciliar de Madrid, por el catedratico Licdo-Manuel Rubio y Cercas. Madrid, 1915.