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triomphante. Une presse tapageuse ne cesse de publier, en manchettes voyantes, ses prétendues victoires. Le Correo español imprime carrément, en gros caractères : La prise de Dunkerque. Du matin au soir, et du soir au matin, des camelots, installés aux endroits les plus passans de la Puerta del Sol, s’égosillent à crier un journal de Hambourg, rédigé en allemand et en espagnol. Ces deux mots accolés et répétés en une litanie continue, allemand-espagnol, espagnol-allemand, finissent par halluciner le public et par lui obséder les oreilles et le cerveau d’une confuse rumeur d’alliance hispano-germanique. Les effigies de Hindenbourg, du Kaiser et même du Kronprinz sont exposées un peu partout, dans les kiosques des marchands de journaux, aux vitrines des libraires et des vendeurs de cartes postales. Nous autres Français, pour nous rafraîchir les yeux, après avoir contemplé tristement ces exhibitions, ou pour nous reposer des clameurs importunes de la rue, nous n’avons que la lecture de quelques rares journaux favorables à notre cause, comme le Libéral, ou la Correspondencia de España. Ce n’est pas assez. On peut tourner en ridicule les excès et les extravagances de la propagande allemandes : il est trop certain, hélas ! qu’en dépit de ses maladresses, il en reste quelque chose.

Après les débauches de la presse et de la propagande germanophiles, qui s’emparent tout de suite de l’attention du passant, comment ne pas remarquer l’impudeur de la réclame aller mande et l’étalage de ce que j’appellerai le décor allemand ? Les Espagnols, qui en ont l’habitude, ne s’en aperçoivent pas comme nous. Depuis un quart de siècle, l’insensible pénétration du commerce et de l’industrie allemande a peu à peu transformé la physionomie du pays, celle des villes surtout. Il n’en est guère qui ne possèdent leur Café Suisse, généralement tenu par de blonds enfans de la Germanie et rendez-vous obligatoire des commerçans et des touristes teutons. A Madrid, sur la place Sainte-Anne, en face de la statue de Calderon, il y a une brasserie à choucroute et à saucisse, — zum Krokodil, — qui forme comme une petite enclave munichoise dans ce vieux quartier au caractère si original. Tous les hôtels un peu relevés sont ou exploités ou administrés par des Allemands. La valetaille et le mobilier y sont allemands aussi ; du moins certains emplois, qui permettent une surveillance facile des hôtes sont confiés de préférence à des Allemands : allemands les portiers, les liftiers,