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peuple à peuple, puisque, quoi qu’on fasse, on n’arrive jamais à se pénétrer réciproquement : l’étranger, par définition, reste toujours au seuil de l’âme nationale. Mais il va sans dire que j’ai fait de mon mieux pour diminuer, dans la mesure du possible, les chances d’erreur. Au cours de ces cinq mois passés en Espagne, j’ai dû modifier notablement mon attitude d’observateur purement littéraire, donner la plus grande part de mon attention à des faits, à des questions, à des catégories d’individus, qui, autrefois, me laissaient indifférent, surtout prendre conscience de tout ce que j’ignorais. La plus coupable de ces ignorances, pour un littérateur, est assurément celle de la littérature espagnole. Un des bons résultats de cette guerre, au point de vue international, sera sans doute d’avoir rapproché les écrivains et les intellectuels de France et d’Espagne. De part et d’autre, nous avons tout intérêt à nous mieux connaître. Je ne sais ce que les Espagnols y gagneront, — et ils y gagneront certainement, — mais je sais que, pour nous, cette notion plus précise de l’âme espagnole ne sera pas seulement une satisfaction de curiosité, mais, sur bien des points, un redressement et un enrichissement de notre pensée comme de notre sensibilité, et, pour tout dire, de notre conception de la vie.

Enfin, je manquerais à tous mes devoirs, si je ne rappelais ceux qui m’ont précédé dans cette enquête sur l’opinion espagnole. Ils m’ont donné d’utiles indications, ils ont confirmé mes propres observations, ou ils m’ont fourni des raisons à l’appui de mon sentiment. Ici même, M. Morel-Fatio a été le premier à esquisser, avec autant de finesse que de tact et de discrétion, le véritable étal d’esprit des Espagnols depuis la guerre. Il est revenu ailleurs sur la question, à propos du belliqueux discours de M. Vazquez de Mella. Deux articles anonymes, d’une documentation très abondante et très sûre, ont paru dans le Correspondant. D’autre part, des voyageurs ou des missionnaires, comme M. Louis Arnould, ou M. l’abbé Lugan, — qui a dépensé, dans une tâche ingrate, beaucoup de zèle patriotique et religieux et beaucoup d’éloquence, — nous ont abondamment renseignés sur la propagande germanophile comme sur la violence des préjugés anti-français en Espagne. Je ne parle, bien entendu, que de ceux que je connais, ou que j’ai pu lire. Que les autres m’excusent ! Et ainsi je ne me flatte pas d’apporter du nouveau. Laissant de côté ce qui a été dit ailleurs et bien dit,