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Grèce, l’homme qui a vu le plus juste et qui a montré la meilleure direction à suivre : mais il est provisoirement mis de côté et, en attendant des revanches certaines, on est bien obligé de s’accommoder de la situation telle qu’elle est. Nous sommes à Salonique ; nous y sommes dans une situation, à certains égards, délicate, à d’autres, dangereuse ; nous n’avons aucune intention de porter atteinte à l’indépendance de la Grèce, même lorsqu’elle y renonce elle-même, ni de faire violence à ses résolutions, même lorsqu’elle se montre incapable d’en prendre une. Mais nous avons le droit et le devoir de voilier pratiquement à nos intérêts.

La situation s’est modifiée ces derniers jours. A quelques unités près, la malheureuse armée serbe a été refoulée du côté du Monténégro et de l’Albanie. Elle parait s’être divisée en deux fractions de grandeur inégale, dont l’une, la plus petite, a marché du côté de Vallona et l’autre, la plus grande, du côté de Scutari. C’est celle-ci qui a le plus souffert, et il faut même remonter très haut dans l’histoire pour trouver un autre exemple d’une aussi lamentable et tragique épreuve imposée à une armée qui s’est battue héroïquement. Nous avons espéré, nous continuons de croire que l’Italie secourra les Serbes, les ravitaillera, les nourrira, car tout leur manque en ce moment. Elle s’est engagée solennellement à le faire et, à en juger par la satisfaction qu’en ont manifestée ses journaux, elle a déjà envoyé à Vallona un important corps de troupes. Des précautions habilement combinées ont été prises contre les vaisseaux et les sous-marins autrichiens dans l’Adriatique, et tout s’est bien passé. Il n’y a là toutefois qu’un commencement, et ce n’est d’ailleurs pas du côté de Vallona qu’est le gros de l’armée serbe. Seuls les Italiens sont à même d’accomplir l’œuvre de salut. Leurs alliés peuvent les y aider, mais c’est à eux que revient la tâche principale et ils tiennent à honneur de l’accomplir : qu’ils l’accomplissent donc.

Quant aux Anglais et à nous, notre tâche est ailleurs en ce moment. Nous avons dit un mot, il y a quinze jours, des hésitations qui avaient mis quelques divergences entre nos alliés et nous ; s’il en est résulté des lenteurs regrettables, on affirme que l’accord est aujourd’hui complet. Nous sommes allés à Salonique pour un double but. Le premier, le plus important et, en tout cas, le plus urgent à atteindre était de rejoindre l’armée serbe et de la dégager : il a été manqué. L’autre était de combattre, dans la mesure de nos forces, l’action des Austro-Allemands dans les Balkans et sur la route de Constantinople et, si les circonstances actuelles ne permettent pas de faire