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furent nos pères, écrira-t-il, ne sont pas morts tout entiers ; leur vie palpite encore dans les archives et le Debout, Lazare ! sera toujours la plus noble devise de l’historien. » Ressusciter nos pères et les arrière-grands-pères de nos grands-pères, c’est la tâche qu’il assume. L’histoire, vaste et minutieuse, ne va pas lui manquer. Dans l’Aventure, il ressuscite les premières années du XVIIe siècle ; dans le Complot des libelles et la Mystérieuse affaire Donnadieu, il réveille et il ranime les conspirateurs et gens de police du Consulat ; puis, dans le Capitaine Sans-Façon, la chouannerie de 1813 et, dans la Savelli, les intrigues politiques et amoureuses du second Empire. Chacun de ces ouvrages lui demanda beaucoup de temps : je suppose que, maître de ses documens, il écrivait assez vite (et fort bien), sans doute avec cet élan de pensée qui donne à ses récits leur bel entrain ; mais il avait longuement cherché, trouvé enfin, le détail authentique de son roman. D’autres époques, cependant, l’eussent tenté à connaître et d’autres pères à ressusciter, si tout à coup sa méditation n’avait subi une étrange péripétie, et qui faillit le détourner de ses projets : le spiritisme l’enchanta.

Le spiritisme avait bien l’air d’être une science ; et que de merveilles il révélait ! De ces deux façons, il devait séduire une intelligence à la fois positiviste et curieuse de mystère. Le spiritisme, ce fut, pour Gilbert Augustin-Thierry, du romantisme, et qui semblait avoir l’estampille des savans. Peut-être aussi le goût qu’il eut pour les industrieuses manigances des esprits est-il le même qui lui faisait tant aimer, dans l’histoire, le subtil tracas des conspirateurs. Les uns et les autres accomplissent une besogne ténébreuse et perfide ; on suit à la piste, l’on perd et l’on rattrape ces agens de l’Occulte. Quand on cesse de les voir, on sent leur présence cachée ; quand on a découvert une de leurs machinations et qu’on va les saisir, ils s’échappent à la faveur d’un nouveau stratagème. Esprits et conspirateurs sont admirables pour multiplier et pour exciter sans cesse l’intérêt d’une destinée ; dociles à leurs volontés ambitieuses ou malicieuses, ils composent, avec une fabuleuse abondance de ressources, du drame et du roman.

Les expériences de Charcot relatives à la suggestion persuadèrent Gilbert Augustin-Thierry d’écrire Marfa ou le Palimpseste, son premier « récit de l’Occulte. » C’est l’histoire d’un vicomte Lucien de Hurecourt, qui aime à la folie la jeune femme d’un vieux seigneur russe, le prince Volkine. Et il tue ce bonhomme. Il le tue, pour ainsi parler, dans les meilleures conditions de secret, de sécurité. Seulement,