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dès ce moment, l’occasion de voir que les documens ne suffisent pas ; qu’ils ne livrent que des faits, non les âmes ; que les faits ne sont pas le signe évident des âmes, qu’ils en seraient plutôt le rébus et que, pour déchiffrer ce rébus, il faut deviner autant que traduire. Il examinait une réalité contemporaine, mais étrangère ; et la différence d’un pays à un autre est la même que d’un siècle à un autre. Puis il examinait un phénomène de la pensée religieuse et, bref, de la conscience la plus intime et secrète. N’est-ce point alors qu’il sentit que l’histoire la plus érudite réclame les secours de l’imagination ?

Je crois qu’il avait, à cette époque, le projet de compléter son esquisse et d’achever le tableau des nouvelles idées religieuses en Angleterre. Il modifia son projet ; plus exactement, il eut à le déplacer, pour divers motifs. Ce qui le tentait, c’était moins de connaître la religion de la Grande-Bretagne, que de trouver la véritable formule d’un art où se peuvent joindre la science positive et l’intuition, qui toutes deux excitaient sa ferveur. Au bout de sept ans d’un labeur subtil et opiniâtre, il publia L’aventure d’une âme en peine, roman, mais un roman tout plein d’histoire. Vingt-cinq pages de « notes et pièces justificatives, » à la fin du volume, indiquent les sources manuscrites ou imprimées, citent Cajétan, Salmeron, Suarès, Hurtado de Mendoza, les démonographes del Rio, Lancre et Loyer, les Mémoires de la Ligue, les procédures contre Barrière, Châtel et Ravaillac, citent du français, du latin, les Commentaires théologiques de Grégoire de Valence, les Aphorismes d’Emmanuel Sa, le Discours des Sorciers de Boguet, la quantité des vieux livres qui nous aident à ressusciter et la folie et la raison du XVIIe siècle, ses passions, ses vertus, ses chimères, et qui ne sont que du fatras si vous ne les éclairez pas de vous-même. Eh bien ! voilà, sans plus de périphrases, genre qui n’est pas neuf, le roman historique ? C’est lui. Mais notre auteur le traite à sa manière. Dans la préface de son Aventure, il déplore le discrédit où est tombée cette « forme du grand art, » maintenant une « littérature de carrefour, » bonne pour les illettrés, lesquels (remarque-t-il) foisonnent parmi les deshérités de la fortune et ses privilégiés : cette « plèbe » a ses « amuseurs » qui ne craignent pas de chaparder à l’histoire leurs mascarades. L’auteur de l’Aventure se plaint aussi des romantiques, et de ceux qu’il admire par ailleurs, et de Victor Hugo : quoi ! ce Claude Frollo, qui rougit d’aimer une bohémienne, un prêtre du XVe siècle ? et Triboulet, bouffon de François Ier, désespéré de ce que sa fille soit gentille au roi ? et Didier qui injurie Marion la courtisane, le galant Didier, presque le